Le monde de la Finance a déjà connu de profonds bouleversements. Dans les années 1980, grâce au Terminal Bloomberg, Wall Street accédait aux données en temps réel, aux travaux de recherche, à une messagerie instantanée. Tous les acteurs du marché pouvaient enfin échanger, c’était une vraie révolution. Dans les années 90, Renaissance fut le premier Hedge Fund à parier sur les modèles mathématiques. C’est l’apparition des fonds quant.
Le capital-risque, lui, n’a pas évolué depuis sa naissance dans les années 1950. C’est un sport qui a connu de nouveaux joueurs : les micro-VC, les solo-capitalistes, les super-Angels. Mais il s’est toujours joué en trois sets et ses règles n’ont pas changé : il s’agit de sourcer un maximum de deals, d’opérer les due diligences, enfin...de faire le maximum d’efforts pour remporter le deal !
Ce jeu vieux d’un demi-siècle porte un nom : inefficience. Et ceci pour plusieurs raisons. D’abord parce que le sourcing des investisseurs repose sur leur réseau. Il leur est difficile, voire impossible, de prendre en compte l’ensemble du marché.
Ensuite, parce que l’investissement est une fonction directe du temps disponible. On ne peut investir que dans un nombre limité d’entreprises.
Inefficience car les thèses d’investissement, lorsqu’il y en a, ont une date de péremption. Les thèses dans le Venture Capital sont à double tranchant.
Autre raison d’inefficience, la forte assymétrie d’informations sur le marché est forte, entre entrepreneurs et investisseurs, mais aussi entre investisseurs. L’opacité règne à tous les étages.
De surcroit le marché, en early stage, est bruyant. On décompte plus de 200.000 créations de start-up par an aux Etats-Unis, aux alentours de 50,000 en Europe. Malgré ce nombre impressionnant, les analystes financiers se penchent rarement sur ce type d’entreprise, aucune agence de notation ne les prend en compte.
Enfin, si l’on regarde la réalité en face, ce ne sont pas les investisseurs qui choisissent les meilleurs entrepreneurs, mais plutôt l’inverse. Les meilleurs entrepreneurs décident de leurs investisseurs.
C’est bien le paradoxe de l’industrie Venture Capital : cette asset-class a financé toutes les innovations technologiques depuis quatre décennies avec un succès phénoménal, mais elle n’utilise aucune Tech pour elle-même.
L’industrie du financement de la tech est moins innovante que le secteur de la construction ou celui de l'éducation. Peut-être parce qu’un fonds de capital-risque est avant tout une addition de personnalités pas toujours cohérentes ?
Quoi qu’il en soit, les dysfonctionnements de ce marché ont profité aux meilleurs, aux fonds qui ont su créer une marque forte.
L’industrie du capital-risque est fondée sur le principe de la Power Law : non seulement la performance d’un fonds repose sur un petit nombre d’investissements - les outliers -, mais la performance globale de l’industrie se concentre dans les mains d’un petit nombre d’acteurs, tous établis depuis au moins 20 ans. Quels sont les perdants ? les fonds émergents, les fonds d’investissement qui n’ont pas réussi à consolider leur marque, et enfin, les limited partners, en particulier les Family Offices, qui ont difficilement accès à l’élite du Venture Capital et à ses returns.
Je fais le pari suivant : le jeu que je viens de décrire sera bouleversé dans les cinq prochaines années. Peut-être même avant.
Pourquoi ? Parce que l’Intelligence Artificielle (IA) peut désormais corriger les 3 principales inefficiences de marché : le temps disponible, le bruit et l’opacité.
> Le temps disponible parce que, comme à peu près tous les métiers de col blanc, celui de capital-risqueur va connaître un boom de productivité, dans de nombreuses tâches. Le suivi de performance des entreprises du portfolio, la lecture des decks, les premiers contacts avec les entrepreneurs, la plupart des tâches administratives, l’écriture même des mémos d’investissement, le soutien des sociétés du portfolio seront réorganisés, simplifiés, grâce à l’IA.
> Le bruit, parce que c’est là que frappera la première vague de disruption. Éliminer le bruit revient à trouver l’aiguille dans une meule de foin. Ceux qui y parviendront seront les winners de demain. : SignalFire, Tribe Capital, 2.12 Angels, en sont les meilleurs exemples.
> La disparition de l’opacité sera la seconde vague d’innovation (avec un premier aperçu : AngelList). Une révolution de type “Bloomberg Terminal” introduira la transparence sur le marché. L’information sur les deals du marché sera accessible à tous. Signal, de NFX,ou Harmonics.ai. sont des pionniers dans ce domaine.
En conséquence, le jeu pourra s’ouvrir à des acteurs autres que les seuls fonds de Venture Capital, un enjeu fondamental pour les Family Offices.