Il n'existe certes aucune preuve irréfutable que l'engagement des investisseurs auprès des entreprises est véritablement ce qui contribue à convaincre chacune d’elles de communiquer leurs données en matière d’impact. Toutefois, il semble que les efforts collectifs pour les encourager en ce sens ont un réel effet. Zoom sur la campagne annuelle menée par l’initiative CDP.
Fondée en 2000 sous le nom de ‘Carbone Disclosure Project’, l’initiative CDP est une organisation à but non lucratif visant à inciter les entreprises à communiquer leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) ainsi que leurs stratégies pour les réduire. Avec l’intégration récente de données sur la gestion de l'eau et des forêts, désormais seul l’acronyme CDP est utilisé.
En 2023, cette initiative compte parmi ses signataires plus de 500 détenteurs d'actifs – dont l’UBP fait d’ailleurs partie –, et ceux-ci représentent au total quelque USD 100’000 milliards d'investissements.
Le nombre de sociétés publiant des informations sur la plateforme du CDP s’élève à environ 18'700, soit la moitié de la capitalisation boursière mondiale. On estime également que plus de 20% des « émissions industrielles »(1) globales sont communiquées par ce biais. Les données du CDP sont très appréciées car leur niveau de transparence et de standardisation vient idéalement compléter celui des publications régulières des sociétés. Le CDP donne aussi aux investisseurs la possibilité d’apporter leur contribution au travers de son programme annuel d'engagement collaboratif : la campagne NDC(2) (‘Non-Disclosure Campaign’). Celle-ci vise à coordonner les efforts des membres du CDP qui souhaitent encourager les entreprises à publier leurs données environnementales sur la plateforme du CDP.
La campagne consiste en trois étapes : le CDP établit une liste d'entreprises cibles, puis l’on attribue aux participants plusieurs sociétés pour lesquelles ils souhaitent diriger l'effort d'engagement (ces participants ont ainsi un rôle de «lead investor»), et enfin, des lettres sont rédigées par le CDP soulignant l'importance de la publication de ces données : les courriers, signés par tous les membres du CDP intéressés, sont ensuite envoyés par les «lead investors» aux entreprises concernées.
L'un des atouts clés de cette campagne est que son impact est soumis à un examen rigoureux. Chaque année, le CDP suit un groupe de sociétés ayant les mêmes caractéristiques que celles ciblées lors de la campagne, mais auprès desquelles aucun engagement n’a été entrepris et qui n’ont pas reçu de lettre. La comparaison des taux de communication des données des deux groupes de sociétés permet au CDP d'estimer dans quelle mesure l'effort d'engagement fait une différence, autrement dit l’«additionnalité». L’additionnalité est un concept employé de façon excessive dans l’univers de l’impact – car elle est très difficile à évaluer précisément –, mais cette méthode de comparaison reste, à notre connaissance, l'un des meilleurs outils de mesure à cet égard.
Lors de la campagne 2022, il a ainsi été constaté que l'engagement auprès des entreprises multipliait par 2,3(3) la probabilité qu’elles communiquent des informations au CDP. Les résultats des campagnes précédentes confirment cet effet positif, avec le même ordre de grandeur. Preuve que le processus fonctionne.
Cependant, nous ne pouvons pas être sûrs que la force de l'engagement soit la même auprès de chacune des entreprises. Je me souviens notamment d'une société qui n'a pas répondu à la lettre du CDP, ni à aucune de nos relances. Nous avons été déçus car nous étions confiants vis-à-vis de cette entreprise. Or, nous avons découvert avec surprise qu’elle avait complété et soumis son tout premier questionnaire sur le climat la même année, juste avant la date limite. Avons-nous eu un impact dans ce cas précis ? Nous ne le saurons probablement jamais, mais nous sommes heureux que l'entreprise ait choisi de publier ses informations.
La communication des données n'est toutefois qu'une première étape. En tant que citoyens conscients de l'urgence climatique, nous devrions viser à une réduction immédiate et ambitieuse des émissions de GES. Certes, le CDP n’agit pas directement à ce niveau. Cependant, en encourageant la transparence ainsi qu’un dialogue ouvert et franc avec les actionnaires sur cette question majeure, il permet aux entreprises de s’engager sur une voie menant naturellement à des objectifs de diminution des émissions et aussi à une plus grande prise de conscience de leur impact sur l'eau et les forêts. L'étape suivante devrait logiquement consister à fixer un objectif de réduction des émissions qui soit basé sur des données scientifiques (« science-based target»). Notons que l'initiative ‘Science Based Target’ (SBTi) – qui valide la méthodologie pour ce type d’approche – a justement été créée par le CDP, en partenariat avec le Pacte mondial des Nations Unies, le ‘World Resources Institute’ et le WWF(4).
En conclusion, si aucune solution ne paraît jamais suffisante face à l'urgence sur le climat, le CDP présente, quant à lui, deux atouts essentiels qui devraient inspirer les investisseurs d'impact.
Premièrement, il contribue à rendre les données environnementales plus transparentes et standardisées, permettant ainsi de meilleures comparaisons entre les entreprises. Deuxièmement,enmesurantrigoureusement l'efficacité de sa campagne NDC, le CDP démontre la puissance de l'engagement collectif de la part des investisseurs. Tous les actionnaires responsables devraient en prendre conscience.
(1)Les émissions industrielles font référence ici aux émissions de GES, hors émissions liées au changement d’utilisation des sols et hors émissions de méthane agricole.
(2)https://www.cdp.net/en/investor/engage-with-companies/non-disclosure-campaign
(3)https://cdn.cdp.net/cdp-production/cms/reports/documents/000/006/764/original/CDP_2022_Non-Disclosure_Campaign_Report_18_01_23.pdf
(4)De plus amples informations sont disponibles à l’adresse : https://sciencebasedtargets.org/.