Il faut convaincre par l’exemple : l’économie bleue est un secteur investissable

2025 06 24 Olivier Wenden

Entretien avec Olivier Wenden, Vice Président et CEO de la Fondation Prince Albert II de Monaco.
Monaco, longtemps pionnière dans la protection des océans, est désormais à l’avant-garde de la structuration d’une économie bleue crédible, investissable et scalable. Olivier Wenden revient sur les ambitions du Blue Economy & Finance Forum (BEFF), qui s’est déroulé en Principauté les 7 et 8 juin derniers.

En quoi le BEFF diffère-t-il des nombreuses conférences internationales sur l’océan ?

Nous ne souhaitions pas que le BEFF soit juste un sommet de plus dans l’agenda international. Notre approche a donc été volontairement pragmatique : il s’agissait de dresser un état des lieux des solutions existantes, et non de multiplier les effets d’annonce déconnectés des réalités opérationnelles. Le succès a été au rendez-vous : près de 2 000 participants ont pu bénéficier d’une qualité d’expertise exceptionnelle en matière de finance et d’économie bleue. Le BEFF a bénéficié d’une reconnaissance politique majeure avec la présence de six chefs d’État, et d’un nombre équivalent de Premiers ministres, mais aussi du Prince de Galles, de la Princesse Héritière de Suède et du Prince Héritier de Norvège, témoignant de l’intérêt grandissant pour une finance océanique responsable.

L’approche était donc économique autant que politique ?

Absolument. Il est temps de reconnecter l’océan à l’économie. Trop souvent, la mer est perçue comme un enjeu philanthropique ou scientifique décorrélé du système financier. Or, c’est une erreur d’analyse. Plus de 80 % du commerce mondial passe par les voies maritimes. La majorité de la population mondiale vit dans des zones côtières. L’océan est un levier majeur de la sécurité alimentaire mondiale, du transport international, de régulation climatique.

La Fondation a toujours été fidèle à la science, mais le constat est sans appel : les discours scientifiques, ou moralistes, ne parviennent pas à générer de l’action. Il fallait activer un autre levier — celui du capital. L’économie bleue est aujourd’hui un secteur en structuration rapide, mais encore sous-financé. Nous voulons démontrer par l’exemple que cette économie est rentable, créatrice d’emplois, et compatible avec les impératifs de durabilité. C’est pourquoi, au niveau de la Fondation, nous avons souhaité compléter nos actions de philanthropie avec de l’investissement d’impact, en créant notamment avec Monaco Asset Management, le ReOcean Fund, un fonds de private equity destiné à investir 100 millions d’euros dans des entreprises en croissance œuvrant dans des secteurs clés de l’économie bleue.

Votre positionnement atypique — mêlant exigence scientifique et logique d’investissement — est-il compris par les investisseurs ?

Il commence à l’être et je crois même qu’il rassure. Nous avons prouvé que notre approche est sérieuse, structurée et crédible. Nous avons par exemple instauré au sein de la gouvernance du ReOcean Fund un droit de veto scientifique sur chaque investissement : si une solution n’est pas alignée avec nos critères environnementaux, elle est écartée, même si elle est rentable.

Quels sont les freins à l’investissement ?

L’océan paraît toujours lointain et peu corrélé à l’économie mondiale. Ce qui est faux. Mais tant que les grands investisseurs — fonds de pension, fonds souverains, banques, assureurs — ne mettront pas ce sujet à leur agenda, rien ne changera.

L’autre frein est celui du risque perçu. L’économie bleue reste un champ émergent, avec peu de benchmarks. Il existe aujourd’hui seulement 43 fonds bleus en private equity dans le monde consacré aux entreprises en croissance (série B et au-delà), dont aucun ne dépasse 200 millions d’euros. Les entreprises cibles sont souvent jeunes, en phase de pré commercialisation ou de croissance initiale. Les retours ne sont pas encore consolidés.

Comment répondre à ces appréhensions ?

En créant des preuves de concept solides. C’est pour cela que nous avons lancé le ReOcean Fund. Il cible les entreprises en croissance à fort potentiel, avec un impact environnemental mesurable. Le premier investissement, en janvier, s’est fait dans NatureMetrics, société britannique spécialisée dans la mesure de la biodiversité via l’ADN environnemental.
Il nous faut mettre davantage en avant les entreprises innovantes pour les aider à changer d’échelle, et montrer le réel dynamisme de l’économie bleue. Je pense à des sociétés comme ECOncrete par exemple, qui développe un béton à pH neutre favorisant la biodiversité marine et à qui la Fondation avait remis un prix en 2022.

Peut-on espérer un effet COP21 pour l’océan, comme ce fut le cas pour le climat ?

C’est notre espoir. La COP21 a été un déclencheur pour les énergies renouvelables. L’océan peut connaître une dynamique similaire. Il y a un écosystème d’entreprises, un intérêt croissant, un potentiel d’impact énorme. Mais pour cela, il faut des résultats concrets, mesurables. Les promesses à 15 ans n’intéressent plus personne. Il faut que dès l’année prochaine, nous puissions dire : cette solution a été déployée, elle fonctionne, elle est rentable. C’est cette exigence de redevabilité qui structure notre action.

Vous avez lancé une mécanique de pitch inédite au BEFF. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons en effet sélectionné 10 entreprises à présenter leur solution au BEFF, chacune devant pitcher en binôme avec l’un de ses investisseurs actuels. C’est une première. Cela a permis aux fondateurs d’expliquer leur vision, et à l’investisseur de démontrer pourquoi il a misé sur cette entreprise. Le tout devant un public de 400 personnes représentant des fonds d’investissement, des family offices, des banques, ou des assureurs. Le but : créer une passerelle immédiate entre innovation et capital.

Justement, les assureurs et réassureurs étaient présents. Quel rôle peuvent-ils jouer ?

Un rôle décisif. Comme les banques, les assureurs peuvent, par leur politique de souscription, interdire de facto des pratiques non durables. On l’a vu récemment avec 14 banques anglo-saxonnes qui ont signé une charte refusant de financer l’extraction minière des grands fonds marins. C’est une manière très directe de faire évoluer les modèles. Le Souverain a d’ailleurs initié pendant le BEFF, avec Ray Dalio, le fondateur de Bridgewater Capital, une première réunion entre fonds souverains et fonds de pension autour de l’économie bleue.

Quels sont les enseignements de ce premier BEFF ?

La reconnaissance. La communauté internationale a validé le positionnement pionnier de la de la Principauté et reconnu le leadership historique du Prince de Monaco sur ces sujets. Nous avons été à la fois techniques et politiques, ambitieux mais réalistes, globaux mais très concrets. L’économie bleue est en train d’émerger comme une nouvelle classe d’actifs. Et c’est maintenant qu’il faut s’y intéresser.

Quel message à retenir pour les investisseurs ?

L’océan est un marché investissable aux multiples opportunités.

Comme le solaire hier, l’océan demain sera un segment majeur de l’économie. Mais il faut agir maintenant, au moment où les multiples sont raisonnables, où l’impact est direct, et où les pionniers peuvent encore faire la différence.

C’est aussi pour cela que le Prince n’a pas hésité à s’impliquer personnellement dans le développement de ces outils, dont le fonds de private equity est la clef de voûte. Monaco n’attend pas le consensus. Nous voulons faire partie des leaders d’une économie bleue investissable, rentable, et responsable.