La troisième conférence Wealthtech Summit à Monaco, organisée conjointement par la DIATN et l’AMAF, l’évènement de référence en Principauté pour explorer les innovations et les tendances technologiques émergentes appliquées à la gestion de patrimoine, a abordé cette année le sujet « Intelligence Artificielle et Investissement : les nouvelles frontières de la finance ». Les interventions ont été très appréciées par les participants, plus de 100 professionnels réunis pour cette 3ème édition, du mot de bienvenue du Président de l’AMAF Robert LAURE, des interventions de spécialistes jusqu’à la mise en perspective de M. GENTA, Délégué Interministériel à l’Attractivité et à la Transition Numérique. En particulier, citons M. Jean-Philippe DESBIOLLES, Managing Director IBM : « Nous sommes passés d’un monde déterministe à un monde probabiliste ». Tous les intervenants se sont accordés pour illustrer la nouvelle révolution industrielle à laquelle nous faisons face, en Principauté comme sur les autres places financières internationales.
Dans ce cadre, Charles THURAT, AI Platform manager chez BNP Paribas Wealth Management, a abordé le thème des applications de l’IA dans la gestion de patrimoine et l’investissement. Nous l’avons rencontré.
En quelques mots, pourriez-vous présenter votre parcours au sein de BNP Paribas ?
J’ai rejoint BNP Paribas en 2018. J'ai passé un peu plus de deux ans au sein de Personal Finance, dans les équipes analytiques avant de rejoindre les équipes du pôle IPS où je coordonnais les activités liées à des sujets technologiques comme l’Intelligence Artificielle (IA), la data analytics, et des technologies émergentes comme la blockchain ou le quantum computing. J'ai rejoint en décembre dernier les équipes Data & IA de Wealth Management, pour construire, prioriser et exécuter la stratégie IA de cette entité.
Quel rôle l'intelligence artificielle joue-t-elle dans les stratégies d'investissement aujourd'hui ?
L'intelligence artificielle est devenue un outil essentiel dans les stratégies d'investissement, bien avant que le grand public y soit sensibilisé. L'IA a été utilisée dans le secteur financier depuis des années, notamment dans les stratégies d'investissement qu’elle pilotait ou assistait.
Cependant, il est important de noter que l'IA, malgré ses avancées, ne remplace pas l'humain. Elle aide à analyser de grandes quantités de données, à détecter des signaux, mais ne peut pas encore rivaliser avec l’intuition humaine, ce que j'appelle le « flair » ou l'inspiration. Même si les fonds d’investissement entièrement pilotés par l’IA existent – surtout aux États-Unis et en Asie –, ils ne surperforment pas forcément les fonds gérés par des humains. L’IA apprend des données du passé, mais manque encore de créativité et d’originalité.
Permet-elle de réduire les risques dans les stratégies d’investissement ?
L’IA peut effectivement jouer un rôle dans la réduction des risques, de plusieurs manières.
Par exemple, elle est très utile dans l’évaluation du risque au moment de proposer un produit ou un service. Elle aide à analyser la situation complexe de chaque client, en prenant en compte la diversité croissante de leurs patrimoines et investissements.
Enfin, à l’échelle des marchés, l’IA nous permet de détecter des signaux d’instabilité avant qu’ils ne se matérialisent, ce qui nous aide à prendre des positions plus défensives si nécessaire.
Un aspect plus prospectif de l’IA consiste à imaginer de nouveaux scénarios de risque. Elle peut s’inspirer du passé et générer des scénarios économiques, géopolitiques ou sociétaux auxquels nous n'avions pas forcément pensé. Cela permettrait de mieux anticiper des événements exceptionnels, mais aussi de réagir plus efficacement.
L'IA permet-elle également une personnalisation accrue des offres en gestion de patrimoine ?
Tout à fait. Elle permet d’analyser très finement le patrimoine des clients et d’adapter nos propositions en fonction de leur appétence au risque, de leurs projets de vie, ou encore de leur exposition à certaines classes d’actifs ou à certaines industries. Grâce à l'IA, nous sommes en mesure de détecter des signaux faibles, des informations sur les projets futurs d'un client ou les événements qui pourraient affecter son patrimoine. Cela nous permet d’être proactifs et de proposer des offres avant même que le client ne les réclame. Nous pouvons aussi analyser l’écosystème du client, que ce soit sa famille, ses participations dans des entreprises, ou ses centres d'intérêt, et anticiper ainsi des opportunités ou des besoins spécifiques.
Mais cela ne pose-t-il pas des questions d’éthique en ce qui concerne l’utilisation de toutes ces données ?
C'est une question absolument cruciale. L’IA est un outil extrêmement puissant, mais comme tout outil, elle doit être utilisée de manière responsable. Chez BNP Paribas, nous accordons une importance particulière à la protection, à la confidentialité et au traitement des données, en conformité avec l’ensemble des normes et réglementations en vigueur dont le RGPD (Règlement Général sur la protection des Données) . La banque s’engage par ailleurs à ne pas partager de données personnelles à des fins commerciales.
Nous avons une conviction forte : l'IA ne peut remplacer le contact humain. Le contact direct avec le client est essentiel, et nous pensons que ce sera encore plus vrai à l’avenir. Alors que l'IA devient de plus en plus omniprésente, le fait de pouvoir interagir avec un conseiller humain, un expert, sera d’autant plus important que le conseiller est un partenaire de confiance. Nous croyons fermement que l’IA doit être au service de l’humain, pas le remplacer.
Comment percevez-vous l'impact des fintechs sur le secteur bancaire traditionnel ?
Les fintechs ont apporté une nouvelle forme de concurrence, mais cela fait partie des cycles naturels d’évolution dans n’importe quelle industrie.
Pour BNP Paribas, c'est une opportunité de se réinventer et d'innover, que ce soit en collaborant avec ces fintechs ou en intégrant leurs solutions dans nos propres offres. Nous collaborons avec de nombreuses jeunes entreprises, notamment dans le domaine des technologies IA, afin de combiner leur agilité avec notre expertise. Cela nous permet de rester à la pointe de l’innovation tout en offrant à nos clients une stabilité et une continuité que les jeunes fintechs, par définition, ont plus de mal à garantir.
En effet, dans le domaine du Wealth Management, la relation de long terme avec le client est essentielle. Les clients fortunés cherchent des partenaires qui peuvent les accompagner pendant des décennies, et les fintechs, bien que performantes dans certains domaines, n'ont pas encore cette capacité à assurer cette stabilité à long terme. C'est là que les banques traditionnelles ont un avantage certain.
L’émergence de l’IA nécessite-t-elle une formation accrue des collaborateurs dans le secteur bancaire ?
Absolument. L’IA a été démocratisée notamment avec l’arrivée des modèles génératifs comme ChatGPT. Mais cette démocratisation s’accompagne d’un besoin de formation, car il ne suffit pas de poser des questions à une IA. Il faut savoir comment formuler les bonnes questions, comment interpréter les réponses et, surtout, comment évaluer leur qualité. Les IA génératives ne sont pas infaillibles et peuvent « halluciner », c'est-à-dire fournir des réponses erronées ou incohérentes.
Nous travaillons activement sur la mise en place de formations pour que tous nos collaborateurs puissent maîtriser l’IA et l'utiliser efficacement au quotidien. C'est un enjeu fondamental, car l'IA est là pour rester ! Il faut donc former les équipes non seulement pour qu’elles utilisent ces technologies, mais aussi pour qu’elles puissent évoluer vers de nouveaux rôles que l’IA va créer ou transformer.