Jacques Dorémieux est procureur général de Monaco depuis octobre 2015. Après avoir occupé pendant sept ans des fonctions de gestionnaire hospitalier, il choisit définitivement la magistrature. Magistrat de siège pendant dix ans, puis magistrat de parquet pendant près de vingt ans, il a une grande expérience de tous les types de délinquance liés aux flux financiers.
L’image de marque de la Principauté, c’est un haut niveau de sécurité. Le maintenir est votre premier enjeu. Le second, c’est la délinquance en col blanc ?
Avec les assurances, le secteur financier est l’un des premiers contributeurs du Produit Intérieur Brut monégasque.
Les 2/3 des actifs sous gestion des établissements financiers, banques et sociétés de gestion, sont constitués de fonds d’origine étrangère ; les 2/3 des comptes appartiennent à des non résidents. Monaco est donc forcément impliqué dans la Finance internationale, et c’est un facteur qui peut accentuer la délinquance financière. En grande majorité, celle-ci est importée, résultant d’infractions commises à l’étranger. Nous avons majoritairement affaire à du blanchiment dématérialisé de flux financier frauduleux. A la marge, à quelques problèmes de prises illégales d’intérêts. Quant à l’auto-blanchiment, cela n’existe pas à Monaco.
Comment est-on alerté ?
Par les demandes émanant des autorités étrangères. Par ailleurs les professionnels de la Place monégasque, les banquiers, les sociétés de gestion, le Service d’Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (SICCFIN) signalent les faits susceptibles de constituer des infractions pénales.
Comment lutter contre ce type d’infraction ?
En essayant d’obtenir la collaboration de l’Etat étranger concerné ; le niveau de collaboration est différent selon le pays, les enjeux, le moment. On établit le lien entre
l’infraction dans le pays d’origine, et les comptes monégasques.
Nous bénéficions d’un appareil législatif et règlementaire : nous utilisons des textes, bien sûr, et nous bénéficions du travail des institutions qui suivent les circuits financiers (le SICCFIN, le ministère public…). Ainsi que deux instruments juridiques : les accords internationaux et la réglementation nationale.
Monaco est un micro-état, on ne peut déployer les moyens des grands états voisins.
Néanmoins, Monaco est bien protégé ?
Monaco est très règlementé, très suivi au niveau de la Commission de Contrôle des Activités Financières, les moyens sont significatifs compte tenu de la taille de la Principauté, et surtout, la volonté du Prince Souverain est notoire pour lutter contre cette forme de délinquance. Je rappelle que la Direction des Services Judiciaires dépend du Prince. Nous fixons ensemble les grands projets et perspectives.
Je souhaite développer des partenariats avec le monde économique et financier, dans un but d’information et de formation, et mener une stratégie de lutte : il faut prioriser certaines formes de délinquance financière.
C’est la raison de votre première rencontre avec l’Association Monégasque des Activités Financières ?
Absolument, pour lier des partenariats avec les banques, les sociétés de gestion, et tous les membres de l’AMAF à titre divers.
Je souhaite évoquer les enjeux de la délinquance financière, dans l’univers de ce que j’appelle « le brouillard de l’information ». Nous sommes face à de nouvelles modalités de traitement de l’information : les vols, ou captations de données, sont livrées au domaine public ; chacun d’entre nous peut désormais y avoir accès et se faire une opinion.. Il y a donc un décalage entre la masse d’information à laquelle accède l’opinion publique et ce que nous (les instances financières et le ministère public) pouvons faire. Ce positionnement est très difficile.
J’évoquerai aussi les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication : elles sont parfois l’instrument même des nouvelles formes de délinquance. Y compris concernant les flux de monnaie scripturale.