Le 7 novembre dernier, Jean-Pierre Petit, président des Cahiers Verts de l’Économie, a donné une conférence sur les répercussions de la récente victoire de Donald Trump aux élections américaines. La réélection de Trump ne se limite pas à un bouleversement dans le paysage politique américain ; elle pourrait bien redéfinir les relations transatlantiques et inciter l'Europe à repenser ses stratégies économiques, énergétiques et sécuritaires.
Un « Red Sweep » aux États-Unis : implications politiques et institutionnelles
Trump a remporté la présidence avec une large majorité de grands électeurs, et les républicains ont consolidé leur contrôle au Sénat. La Chambre des représentants est également en passe de devenir majoritairement républicaine. Cette situation politique, que les analystes qualifient de « Red Sweep », offre à Trump une assise institutionnelle solide, lui permettant de déployer ses politiques sans subir de contrepoids significatif. Cette configuration ouvre la voie à des réformes profondes et à une gouvernance axée sur des valeurs conservatrices, souvent en décalage avec celles de nombreux pays européens.
La puissance américaine : entre domination et fragilité
Jean-Pierre Petit a rappelé que la force des États-Unis repose sur dix piliers majeurs : puissance économique, militaire, technologique, financière, monétaire, énergétique, commerciale, normative, démographique et culturelle. En effet, les États-Unis continuent de dominer le monde dans ces domaines, même si des indicateurs soulignent des faiblesses préoccupantes.
Un système de santé défaillant et des défis sociaux persistants
Les États-Unis consacrent 16 % de leur PIB à la santé, un niveau largement supérieur à celui des pays européens. Pourtant, les résultats en termes d'espérance de vie sont loin d'être satisfaisants, en partie à cause d'un taux d'obésité de 42 % chez les adultes et de 20 % chez les jeunes, ainsi que d'une crise des opiacés marquée par la propagation de drogues telles que le fentanyl.
Une éducation en difficulté et une mobilité sociale réduite
Les performances éducatives américaines, notamment en mathématiques, sont inférieures à celles de nombreux pays développés, ce qui limite le développement du capital humain et la croissance potentielle. La mobilité intergénérationnelle reste faible, freinée par les inégalités de revenu et l’accès limité aux études supérieures pour les classes défavorisées.
Un marché immobilier en tension
Le marché immobilier américain est marqué par une pénurie de logements estimée entre 3 et 4 millions d’unités. Cette situation maintient les prix de l’immobilier à un niveau élevé, malgré la hausse des taux d’intérêt. Trump a d'ailleurs proposé une mesure audacieuse pour libérer des terrains fédéraux, soit environ 12 % du stock national, afin de répondre à cette pénurie, bien que sa mise en œuvre reste incertaine du fait des complexités administratives.
Le programme économique de Trump : vers un protectionnisme renforcé
La stratégie économique de Trump pour son second mandat s’articule autour d’un protectionnisme affirmé et de politiques fiscales en faveur des entreprises. Il a notamment proposé :
- Une taxe généralisée de 10 à 20 % sur les importations américaines pour rembourser la dette publique.
- Une taxe spécifique de 60 % sur les produits chinois essentiels, incluant l’électronique, les produits pharmaceutiques et l'acier. Trump envisage également de restreindre l'accès des investisseurs chinois aux infrastructures stratégiques américaines (technologie, énergie, agriculture).
- La pérennisation des baisses d’impôts de 2017, arrivant à échéance en 2025, avec une exonération fiscale sur les heures supplémentaires et pourboires, ainsi qu’un taux d’impôt sur les sociétés réduit à 15 % pour les entreprises manufacturières aux États-Unis.
Ces mesures visent à renforcer l'autosuffisance américaine et à freiner la montée en puissance de la Chine, notamment dans le secteur technologique.
Une pression croissante sur l’Europe : dépendance et dilemmes stratégiques
La dépendance de l'Europe envers les États-Unis est particulièrement visible dans plusieurs domaines : énergie, technologie, finance et sécurité. Cette relation asymétrique expose l'Europe aux décisions américaines sans qu'elle ait toujours la capacité d'y répondre de manière autonome. En matière de politique monétaire, par exemple, la hausse des taux d’intérêt aux USA se traduit souvent par une hausse des taux en Europe.
Dépendance énergétique
La crise en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont accentué la dépendance de l'Europe vis-à-vis du gaz liquéfié américain, alors que les prix de l'énergie ont explosé. L’Europe a commencé à réagir en diversifiant ses sources d'approvisionnement et en constituant des stocks, mais elle reste vulnérable aux fluctuations des prix internationaux, influencés par la politique énergétique américaine.
Technologie et innovation
Sur le plan technologique, les États-Unis dominent largement les secteurs clés, de l’intelligence artificielle aux semi-conducteurs. Les initiatives européennes, bien que louables, n'ont pas réussi à combler l'écart avec les États-Unis, qui continuent d'attirer les capitaux et les talents mondiaux. Jean-Pierre Petit souligne que la lenteur de l'Europe à réagir face aux avancées américaines et chinoises menace sa compétitivité à long terme.
La confrontation avec la Chine : un axe de politique étrangère essentiel
La stratégie de Trump envers la Chine, initiée lors de son premier mandat, semble devoir se poursuivre. L'administration Trump a commencé par imposer des droits de douane sur les produits chinois, une approche qu'il entend durcir avec des taxes atteignant jusqu'à 60 %. Cette guerre commerciale a permis de réveiller l’Europe face au mercantilisme chinois et de la pousser à élaborer des mesures de protection pour ses industries stratégiques.
Concurrence technologique et sécuritaire
Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une concurrence féroce, notamment sur les technologies de pointe. La politique protectionniste de Trump vise à limiter l'accès de la Chine aux innovations américaines, notamment dans les secteurs de l'intelligence artificielle et des semi-conducteurs, un domaine dans lequel l’Europe est largement dépendante des exportations américaines.
L'Europe à la croisée des chemins : vers un réveil stratégique ?
Selon Jean-Pierre Petit, l’un des effets bénéfiques de la présidence Trump pour l’Europe pourrait être le "réveil" stratégique des Européens, contraints de prendre conscience de leurs vulnérabilités. Depuis plusieurs années, l’Europe se définit comme une "puissance morale", prônant des valeurs de justice et de droits humains, mais cette posture morale ne se traduit pas en puissance géopolitique. Dans un monde de plus en plus compétitif, dominé par une "économie de conflictualité", l’Europe doit accepter la réalité et développer des mécanismes de défense pour sécuriser ses intérêts économiques et stratégiques.
Trump incarne une rupture avec le multilatéralisme traditionnel, privilégiant une approche transactionnelle où les relations internationales sont traitées comme des négociations commerciales. Cette posture a de quoi déranger les Européens, habitués à une diplomatie basée sur le consensus. Pourtant, elle rappelle aussi aux dirigeants européens que le monde ne fonctionne pas toujours selon les règles du "soft power" et que la puissance doit être exercée pour être respectée.
Le second mandat de Trump, un test pour l'autonomie stratégique de l'Europe
En conclusion, la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine pourrait s’avérer un test majeur pour l’Europe. Cette élection rappelle à l'Europe sa dépendance envers les États-Unis. Si elle veut défendre ses intérêts dans un monde de plus en plus polarisé, elle devra trouver un équilibre entre coopération transatlantique et indépendance stratégique.