À l’heure où l’économie mondiale fait face à des défis majeurs, Christophe Barraud, l’un des premiers prévisionnistes au monde et directeur de Market Securities Monaco, est devenu une référence incontournable pour les investisseurs institutionnels. Dans cet entretien exclusif Monaco For Finance, il partage ses perspectives sur les dynamiques économiques actuelles, la stratégie d'implantation de Market Securities à Monaco et ses prévisions clés pour les années à venir.
Vous avez un parcours unique dans la macroéconomie et vous êtes à la tête de Market Securities Monaco. Pouvez-vous nous parler de votre rôle et de votre vision pour l’entreprise ?
Bien sûr. Depuis 2011, je suis chef économiste et stratégiste chez Market Securities, et en novembre dernier, j'ai pris la direction du bureau de Monaco. Mon rôle consiste à anticiper les tendances économiques mondiales et à fournir des analyses stratégiques précises. Market Securities est un groupe de courtage international avec une expertise en analyse économique destinée aux institutionnels. Notre modèle repose sur une vision globale mais avec une touche locale, en l’occurrence Monaco, qui est une place stratégique pour les services financiers.
Mon ambition est de renforcer notre offre de recherche économique pour apporter une valeur ajoutée à nos clients, que ce soit des banques, des fonds de pension ou des assurances. Ici, à Monaco, nous offrons aux investisseurs un accès direct à nos analyses, et la proximité facilite les échanges. C’est aussi un lieu où les besoins des institutions financières en matière de conseils spécialisés sont élevés, ce qui justifie pleinement notre présence.
Vous êtes célèbre pour la pertinence de vos prévisions économiques. Quelle est votre méthodologie, et en quoi se distingue-t-elle de celle de vos concurrents ?
Mon approche est fondée sur l’analyse de données diversifiées et sur des partenariats stratégiques. Pour mes prévisions, je m'appuie non seulement sur des données économiques publiques mais aussi sur des sources alternatives, notamment des données satellites, qui permettent de suivre des indicateurs comme le trafic sur les parkings de grandes enseignes aux États-Unis pour estimer la consommation. Cette méthode me donne une vision en temps réel et souvent plus fine que celle de mes concurrents.
En outre, j’ai développé des collaborations avec des cabinets spécialisés, ce qui me permet d’accéder à des données exclusives, par exemple dans l’hôtellerie et les transports. Ces partenariats sont essentiels car les informations brutes ne suffisent pas toujours. Mon rôle consiste à interpréter ces données en intégrant des facteurs de saisonnalité, d'effets climatiques ou de contexte géopolitique. Cette approche nous a permis d’avoir un "edge" en termes de prévision, ce qui est devenu un atout précieux pour nos clients.
En parlant de contexte géopolitique, l’élection américaine récente a suscité des interrogations. Quels impacts économiques anticipez-vous ?
L’élection a créé une forte incertitude, et les répercussions se feront sentir dans plusieurs domaines. À court terme, des mesures fiscales et d’incitations économiques sont attendues aux États-Unis, ce qui devrait stimuler la croissance. Toutefois, leur mise en place effective reste conditionnée par la marge de manœuvre budgétaire et les majorités politiques. Sur le plan international, il est probable que les relations commerciales avec des partenaires comme la Chine et le Mexique soient au cœur des débats, avec un retour possible de mesures protectionnistes. Une telle dynamique pourrait peser sur les échanges mondiaux et entraîner une inflation importée, ce qui sera crucial pour les investisseurs.
Je pense que la nouvelle administration américaine va d’abord chercher à supporter l’expansion domestique puis à mener des actions sur la scène internationale, notamment avec la Chine. Les conséquences pour l’Europe pourraient être significatives, surtout si les États-Unis renforcent leur politique tarifaire. La dynamique économique de la zone euro étant toujours fragile avec une croissance proche de 1%, elle pourrait se retrouver vulnérable dans un contexte de concurrence accrue.
Vous mentionnez l’Europe. Comment voyez-vous l’évolution des marchés européens dans les prochains mois ?
L’Europe fait face à des défis structurels majeurs, avec une croissance faible et une inflation encore relativement élevée dans le secteur des services. Contrairement aux États-Unis et à la Chine, l’Europe semble moins disposée à utiliser des leviers fiscaux pour stimuler son économie. Cela pose la question de sa compétitivité sur le long terme, notamment dans une "course" où les États-Unis et la Chine investissent massivement.
Si l’Union européenne ne trouve pas de solutions innovantes pour stimuler la croissance, elle risque de perdre en attractivité économique. Des pays comme la France, l’Allemagne et potentiellement l’Espagne devront faire face à des enjeux politiques pressants. Pour les investisseurs, cela implique une prudence accrue sur certains secteurs européens et une possible réallocation des capitaux vers des marchés plus dynamiques.
La Chine est un autre acteur clé dans le panorama économique. Quelles sont vos prévisions pour 2025 ?
La situation en Chine est complexe. Le pays est confronté à une crise immobilière qui affecte la consommation intérieure, avec un effet richesse négatif qui pèse sur la confiance des ménages. À court terme, le gouvernement chinois a mis en place des mesures de soutien pour tenter de stabiliser le marché. Toutefois, pour 2025, je m'attends à des mesures fiscales encore plus ambitieuses, un peu dans l'esprit du "quoi qu’il en coûte", afin de stimuler la consommation domestique et d'attirer davantage d'investissements étrangers.
La Chine a un double objectif : maintenir une stabilité économique tout en restant compétitive face à d’autres pays asiatiques et aux États-Unis. Si ces derniers baissent leur taux d'imposition pour encourager la production locale, d'autres pays d’Asie pourraient suivre cette dynamique pour rester compétitifs, ce qui pourrait influer sur le positionnement de la Chine dans la chaîne de valeur mondiale.
Comment les marchés réagissent-ils aux enjeux climatiques, notamment avec le retour des politiques favorisant l’énergie fossile, soutenues par D.Trump ?
Les politiques énergétiques sont plus que jamais stratégiques pour les investisseurs. Les valeurs "climate-friendly" ont subi des baisses avec la reprise de l’énergie fossile, mais la demande pour les technologies liées aux énergies renouvelables reste forte. Il est probable que nous assistions à une réorganisation des priorités énergétiques, avec une attention soutenue pour certaines technologies, comme l'électricité.
Le retour des énergies fossiles pourrait entraîner un ralentissement de la transition énergétique, mais le besoin de solutions durables est réel, notamment dans des secteurs gourmands en énergie. La pression des investisseurs pour maintenir des initiatives vertes reste présente, et nous voyons un intérêt croissant pour les entreprises offrant des solutions d’efficacité énergétique. Malgré les signaux de retour vers les énergies traditionnelles, l'économie mondiale a besoin de diversifier ses sources pour répondre aux futurs besoins.
En tant que directeur de Market Securities Monaco, quels sont les avantages d’une implantation en Principauté pour une société de courtage comme la vôtre ?
Monaco est un centre d’excellence pour les services financiers, et notre présence ici répond à une réelle demande de la part des clients institutionnels pour une analyse économique de qualité. Être basé à Monaco nous permet d'avoir une proximité directe avec nos clients et de leur offrir un service réactif et personnalisé. La Principauté est un environnement propice aux affaires, et le réseau de contacts est dense, ce qui facilite les collaborations et renforce notre visibilité.
Pour Market Securities, cette implantation est une opportunité d'élargir notre clientèle tout en offrant un accompagnement sur mesure à une clientèle locale et internationale. Nous avons des brokers spécialisés qui connaissent bien le marché monégasque, et cela nous donne un avantage en termes d’accès et de réactivité, essentiel dans le monde du courtage institutionnel.
Pour conclure, quelles sont les grandes tendances à suivre pour les prochaines années ?
Les enjeux géopolitiques, les politiques fiscales et la transition énergétique sont les défis majeurs des prochaines années. Les investisseurs institutionnels devront naviguer dans un contexte marqué par des cycles économiques de plus en plus courts et des changements géopolitiques rapides. Je pense que nous allons également observer une évolution dans la gestion de l’inflation, avec des impacts significatifs sur les taux d’intérêt et les politiques monétaires.
Le monde économique entre dans une ère où l’incertitude est devenue la norme. Cependant, pour ceux qui sauront anticiper ces changements, il y aura d’énormes opportunités. C’est notre mission chez Market Securities Monaco : fournir à nos clients les clés pour comprendre et tirer parti de ces évolutions économiques.
(https://www.christophe-barraud.com/)
Crédit photo : LOIC BISOLI