Jean-Pierre Petit, Président des Cahiers Verts de l’Économie, était auparavant Partner et Directeur de la Recherche Economique et de la Stratégie Exane-BNP Paribas. Auteur de nombreux ouvrages, il reçoit en 2004 le Grand Prix Turgot du meilleur livre d’économie financière pour son titre « La Bourse, rupture et renouveau ». Chroniqueur à BFM, LCI et TV5, il nous livre sa réflexion sur le Brexit, lors du 25ème anniversaire de l’ACI Monaco (The Financial Market Association).
Le Brexit est un grand sujet d’interrogation, si ce n’est d’inquiétude ?
Dans ce domaine, nous manquons de références historiques. Il n’y eut dans l’histoire britannique qu’un seul référendum portant sur le maintien de la Grande Bretagne dans la Communauté Economique Européenne, mais c’était il y a plus de 40 ans (en juin 1975, avec une réponse finalement positive à 67,2%). Il n’y eut dans l’histoire de l’Union Européenne qu’un seul départ de la part d’une entité, celle, très particulière, du Groenland, en 1985. Un départ à la portée historique pour le moins limitée.
Ses détracteurs opposent le coût exorbitant d’une telle opération ?
S’agissant du coût pour l’économie britannique d’une éventuelle sortie de l’UE, beaucoup, pour ne pas dire l’essentiel, dépendrait du temps et du contenu de la transition vers de nouveaux accords commerciaux avec l’UE ainsi qu’avec les autres grands partenaires (USA, Chine,…) et des incertitudes éventuelles que cela générerait, notamment sur l’investissement domestique et étranger. Pour l’anecdote, le départ du Groenland fut suivi par 3 ans de difficiles négociations avec les instances communautaires. Il y a aussi de nombreux points d’interrogation concernant un éventuel impact négatif d’un Brexit sur la City et, plus généralement, sur les services financiers en Grande Bretagne (environ 30% du PIB). Il y aurait aussi le risque de voir prochainement l’Ecosse (presque 8% du PIB britannique) demander un nouveau referendum sur son indépendance et d’aboutir au démantèlement du Royaume. Une nouvelle vague d’incertitudes surgirait, notamment sur la future monnaie de l’Ecosse, sur la répartition de la charge de la dette entre l’Ecosse et le Royaume Uni, sur le partage des réserves d’hydrocarbures de la Mer du Nord, etc.
Le Brexit aurait donc des conséquences catastrophiques sur l’économie de la Grande Bretagne ?
Malgré tout, nous restons perplexes face aux discours négatifs,qui sont tenus ici ou là. Nous croyons notamment dans la capacité d’adaptation de cette économie, grâce notamment à sa forte flexibilité. Rappelons à cet égard les discours enflammés qui étaient tenus au début des années 90 concernant le coût qu’aurait à subir le Royaume Uni en cas de non-participation à la future monnaie unique. Or, depuis fin 1992 (sortie du Sterling du Système Monétaire Européen), le PIB réel britannique a progressé de 68% vs 42% en zone euro. Concernant la City, rappelons que celle-ci est en fait la seule véritable place financière globale d’Europe. Cela tient à la taille et à la grande diversité des acteurs et opérations ainsi qu’à d’autres facteurs (langue, cadre fiscal et juridique, infrastructures de marché,…) peu réversibles selon nous et faiblement affectés par la participation formelle du Royaume à l’UE. Ajoutons que le Brexit pourrait générer quelques gains pour l’économie britannique (moindre contribution au budget communautaire, élimination de la « technocratie » européenne,…).
Le choc majeur serait alors pour l’Europe Occidentale ?
En perdant le Royaume Uni, elle perdrait un acteur majeur; membre du G8 et du G20, 3% du PIB mondial (en PPA), grande puissance militaire et nucléaire, membre du Conseil de sécurité de l’ONU,… La crédibilité et la capacité d’action internes et externes de l’Europe seraient gravement affectées. Cela créerait un dangereux précédent, alimenterait les pressions des formations « populistes » et attiserait probablement les problèmes de gouvernance interne comme ceux liés par exemple à la gestion de la crise des migrants.