Le 23 juillet dernier, M. Michel HUNAULT, Directeur du Service d’information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (SICCFIN), et M. Claude MARX, Directeur général de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF) ont ratifié un accord de coopération afin de renforcer l’efficacité de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Nous avons interrogé M. Claude MARX.
Quel est l’intérêt de cet accord de coopération ?
Je vois beaucoup d'intérêt à collaborer. Nos Places financières sont très similaires, nos deux pays très ouverts sur l'International . Nous avons également une réputation à défendre et dans le contexte actuel les accidents ne sont pas pardonnés. Les petits pays sont plus exposés que les grands à la pression médiatique mais aussi aux attentes internationales du public. Nous nous devons d’être irréprochables.
L’arsenal législatif dont nous disposons aujourd'hui doit être appliqué partout, et de façon rigoureuse. Au Luxembourg nous avons instauré, depuis un certain nombre d'années maintenant, une politique de tolérance zéro. Il n'y a pas d'excuse à ne pas appliquer des règles qui existent pour tous depuis trente ans. Et il faut bien comprendre que tout ce qui vient ensuite, la cinquième directive, la sixième qui devra être ratifiée bientôt sont des points de détails pour ajuster des situations dans de nouveaux contextes, comme par exemple l’existence de monnaies virtuelles. Mais les règles de base sont les mêmes. Je pense donc qu'il sera très intéressant d'échanger ensemble sur des cas pratiques, sur des problématiques communes de non-application des règles dans un contexte donné. Nous pourrons analyser des dossiers concrets, comme par exemple ceux d’établissements bancaires d’origine luxembourgeoise établis à Monaco. La signature de ce contrat est très importante justement pour ces échanges.
Lorsque l’on évoque les nouveaux enjeux de la supervision, on pense au suivi des cryptomonnaies, de la blockchain et des plateformes d’échanges…
Les cryptomonnaies s’additionnent à ce que nous devons déjà surveiller. Nous avons fait un premier pas en exigeant que tous les acteurs actifs dans les cryptomonnaies s’enregistrent auprès d'une commission de surveillance de sorte à ce que l'on ait une vue d'ensemble de leurs activités, même si elles ne sont pas à proprement parler régulées. Les plateformes de change cryptomonnaies/monnaies fiat par exemple doivent s'enregistrer auprès de nous afin que nous puissions exercer un contrôle .
Par ailleurs, tout est à construire aujourd’hui au niveau de l'usage de la technologie afin de lutter contre le blanchiment d'argent…
Effectivement. Nous avons mis en place récemment un registre centralisé des comptes bancaires au sein de la CSSF, qui est à la fois opérateur et utilisateur. C'est un élément essentiel de la lutte contre le blanchiment, qui nous permet, si nous l’interrogeons, de savoir immédiatement qui est bénéficiaire, mandataire, titulaire d’un compte, où qu’il soit. Et le cas échéant, nous pouvons faire le nécessaire. Le crime organisé dispose souvent de plus de moyens financiers que les autorités de contrôle, , mais si l'on utilise à bon escient la technologie, on pourra faire face à cette masse de flux financiers douteux.
Comment ont réagi les assujettis face à la mise en place d’un fichier central de données ?
C'est un changement de paradigme, une révolution. L’ensemble des relations bancaires centralisées auprès d'une autorité qui peut faire des recherches sur les titulaires, les mandataires, les bénéficiaires économiques etc…. Les banques ont dû l'accepter parce que c'est la loi. Et ensuite il a fallu techniquement se préparer : cette base de données a un format prédéterminé afin que nous puissions tout consolider et elle est mise à jour quotidiennement. C'est un vrai challenge technique car les différentes institutions bancaires ont des systèmes informatiques différents, et nous avions six mois seulement pour construire ce registre. Aujourd’hui, le système est opérationnel et il fonctionne. Le contrôle de l’exactitude et de la mise à jour des fichiers de base de données fait désormais partie de notre surveillance continue prudentielle. C'est un dispositif essentiel dans la lutte contre le blanchiment d'argent.
Éradiquer l’argent sale, est-ce possible ?
Un pays ne peut y arriver seul, cela n'est réalisable que si l'on travaille ensemble, et je crois beaucoup aux échanges d’études de cas. Il n'y a pas d'alternative à l'éradication de ce fléau qu'est le blanchiment de l'argent sale.
Par ailleurs lorsqu’un pays est attaqué de manière juste ou injuste ou les deux, il n’est possible de répondre qu’en prouvant que l’on est actif sur le terrain dans la lutte contre le blanchiment. Dans ce cas, on peut le faire savoir, communiquer, et se défendre. Si vous n'êtes pas une Place financière propre, vous êtes indéfendable. Si vous avez un dispositif efficace et efficient, c’est le contraire.
La régulation est-elle un atout d’attractivité ?
Aucun acteur sérieux ne viendra s'installer au Luxembourg ou à Monaco si la Place n'est pas contrôlée. Cela s'est confirmé dans le cadre du Brexit. Un certain nombre d'institutions financières anglaises et internationales ont cherché de nouveaux lieux d'installation dans l'Union européenne des 27. Et on a clairement vu qu'elles n'étaient pas à la recherche de l'endroit où les contrôles étaient les plus légers….