Sylvie Goulard, Sous-Gouverneure de la Banque de France et Ancienne Ministre des Armées, était conviée par l’Association Monégasque des Activités Financières à un déjeuner-conférence, en février dernier, où elle s’est exprimée sur « L’Europe, tour d’horizon économique et financier ». Voici quelques extraits de son discours.
Les impacts du Coronavirus sur l’économie.
L’environnement économique et financier change de jour en jour. Le Coronavirus est un phénomène sans équivalent et sans précédent dans l’histoire.
Le virus se répand parce que notre économie mondialisée est caractérisée par un manque de « durabibilité » (sustainability), des interdépendances accrues et des inégalités, entre autres concernant les systèmes de santé. On observe également une grande volatilité, non seulement des marchés, mais aussi des comportements assez émotionnels de nos sociétés, encouragés par de nouveaux moyens de communication favorisant l’immédiateté.
Nous sommes ainsi malheureusement dans une époque de contestation des cadres multilatéraux, des règles, des institutions multinationales au moment même où nous allons avoir besoin d’un sursaut de coopération.
Le Coronavirus est évidemment un défi pour les autorités élues, mais il touche aussi les banques centrales et les superviseurs, comme en témoigne l’agitation sur les marchés.
A court terme, l’enjeu primordial est sanitaire. A plus long terme, la question fondamentale est la suivante : cette épidémie va-t-elle entraîner des modifications structurelles ? Va-t-on observer, par exemple, un changement des modes de production, avec une remise en cause des délocalisations d’entreprise, des chaînes de valeur internationales, des interdépendances ? A ce stade, il est impossible de le dire. Mais l’on peut se poser la question : comment pourrait-on rendre l’économie mondiale plus durable ?
Économie mondiale et croissance.
Pour 2020, les économistes anticipaient en tout début d’année une croissance mondiale d’à peu près 3 %, avec une impression de stabilisation voire de légère amélioration. L’OCDE a réduit sa prévision à 2,4% la semaine dernière, à la condition que le Coronavirus reste cantonné et ne soit pas trop virulent. Selon les autorités chinoises, la situation du pays est à peu près sous contrôle désormais. En ce qui concerne l’Italie, où la Lombardie représente 22 % du PIB italien, et la Vénétie 10%, on peut imaginer ce que les mesures de quarantaine vont signifier pour le pays, sans parler d’autres contagions possibles.
Pour les économistes il y a aujourd’hui un choc négatif et non anticipé de demande.
La mise à l’arrêt de régions entières entraine une baisse de consommation des entreprises et des services. Le tourisme est pratiquement gelé, les transports aériens également. Ces seuls secteurs peuvent avoir d’énormes répercussions car la Chine représente 17 % du tourisme mondial, et pour l’Italie ce secteur pèse plus de 10 % du PIB. Il y a également un impact sur le prix des matières premières, des sources d’énergie. Le prix du pétrole a chuté de 30 %, les Saoudiens ayant décidé unilatéralement d’augmenter leur production.
Ce choc est particulièrement significatif car la Chine est l’un des plus importants consommateurs de matières premières et d’énergie.
Parallèlement, on constate un choc négatif et non anticipé de l’offre : les usines Peugeot sont par exemple presque à l’arrêt.
Le choc d’incertitude est le plus difficile à mesurer. Il porte sur la capacité des entreprises à investir. On observe en tous cas une grande volatilité sur les marchés : aux États-Unis, les equities ont perdu plus de 10%. N’oublions pas qu’en 2003, époque du SRAS, la Chine représentait 6 % des importations et des exportations mondiales, aujourd’hui c’est 10 %.
Des solutions ?
La situation mondiale
La plupart des pays affichent leur volonté d’agir de façon concertée mais les systèmes politiques, les sociétés sont différents comme le sont les mandats de certaines institutions. Madame Lagarde a annoncé que les réponses de la BCE à la crise seraient proportionnées et ciblées mais la BCE, contrairement à la Fed qui est censée assurer un faible taux d’inflation, et de chômage, a un mandat étroit, centré sur la stabilité des prix.
Nous sommes déjà dans un contexte de politique monétaire accommodante ; les taux d’intérêts sont très bas, voire négatifs. Le bilan des banques centrales a déjà été considérablement augmenté, les politiques budgétaires de certains pays sont peu prévoyantes : 100 % d’endettement pour la France, 130 % pour l’Italie…les marges de manœuvre budgétaire pour ces pays sont donc faibles, surtout si on compare à l’Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple.
Avec des taux d’endettement de plus de 300 % par rapport au PIB mondial, et des pays très diversement endettés, va-t-on rajouter de la liquidité dans ce contexte de crise ?
Il est également important de rappeler que les tensions commerciales mondiales ne sont toujours pas réglées : les États-Unis et la Chine sont arrivés à un accord, le « Phase One deal », qui pour l’avenir, semble porteur d’apaisement, mais sans revenir sur les hausses des droits de douane déjà instaurés entre les deux pays. Cela aura forcément un impact indirect sur l’Europe. Par ailleurs, le multilatéralisme n’étant pas extrêmement vaillant, nous étions dans un contexte tendu, nous sommes maintenant dans un environnement de crise.
L’Europe
En Europe la croissance économique repartait plus modérément mais semblait en voie de s’améliorer.
La situation politique est toutefois fragile : quasiment tous les pays de l’Union Européenne expérimentent une grande fragmentation politique (c’est le cas en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne, en Allemagne, en Belgique pour ne citer que ces pays) ; peu de Chefs de gouvernement peuvent compter sur une majorité claire et déterminée. La volatilité idéologique est frappante.
Par ailleurs, lors du dernier Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement européens ne se sont pas mis d’accord sur les perspectives financières de l’Union Européenne qui devraient être adoptées fin février dernier. Pour l’instant, nous n’avons donc pas de budget pour les sept prochaines années. Chacun sait que la méthode est erronée ; elle consiste à mener des négociations à l’unanimité, sans renouvellement suffisant des politiques et pour une durée trop longue.
Point positif : depuis la dernière crise, le secteur bancaire est beaucoup plus solide, et les mécanismes de supervision plus efficaces. Les banques ont accès à des liquidités à un niveau de coût inférieur. Mais l’union économique et monétaire gagnerait à être complétée par des mesures encourageant l’union des marchés de capitaux.
Ce tour d’horizon ne serait pas complet sans dire un mot de la sortie du RU de l’UE, le « Brexit »
Il ne faut pas en minimiser les implications. C’est le premier départ d’un État membre de l’Union Européenne. En 2016, lorsque les Britanniques ont voté à 52 % pour le retrait de l’Union européenne, il n’a jamais été précisé sur quelles bases : une sortie maintenant des liens étroits et une grande proximité règlementaire (comme avec la Norvège par ex) ou bien un éloignement plus radical, où les relations sont essentiellement commerciales ? Le gouvernement de Boris Johnson a fait le choix d’une position extrêmement radicale, un « hard Brexit » donnant au RU une totale indépendance dans ses choix législatifs, au risque de diverger sérieusement. Ce choix n’est pas anodin.
Si nous pouvons avoir l’impression que le Brexit est sans conséquence, c’est que nous sommes encore dans une période de transition, maintenant le statu quo. Le Royaume-Uni a bien quitté l’UE et ses institutions, juridiquement, le 31 janvier mais il a jusqu’au 31 décembre prochain pour négocier un accord sur la relation future.
Les Britanniques voulaient reprendre le contrôle de leur destin ils l’ont fait. Néanmoins l’effet d’incertitude sur le Brexit a déjà eu un impact, les investissements ont reculé d’environ 11 % au Royaume-Uni depuis 2016, la productivité a baissé, les annonces sur la restriction à l’émigration créent des tensions de main d’œuvre notamment dans les secteurs non qualifiés. Du côté européen, nous sommes désireux d’aboutir à un accord qui rapprocherait les normes de chacun.
Par rapport à l’épidémie, le sujet peut sembler mineur mais il aura une incidence à la fois sur nos relations avec ce pays important et comme éventuel précédent si d’autres pays étaient tentés de quitter l’UE.