Monaco face au défi de la finance durable : une approche pragmatique pour structurer les pratiques ESG

2025 02 14 Eric Tournier

Éric Tournier, Gérant de Fonds à la CMG Monaco (Société de Gestion de CMB Monaco), évoque les enjeux de la finance durable en Principauté et le projet de cartographie des pratiques ESG mené par l’Association Monégasque de la Finance Durable (AMFID). Entre réglementation européenne et spécificités monégasques, il décrypte les défis auxquels font face les établissements financiers et les pistes d’évolution possibles.

Quel est votre rôle au sein de CMG Monaco ?

J’ai une longue expérience dans la gestion de fonds, notamment dans le domaine de l’environnement depuis 2006. Progressivement, cet intérêt pour les aspects environnementaux m’a conduit à me pencher sur la réglementation ESG, et lorsque celle-ci a émergé, j’ai naturellement pris en charge ces sujets pour CMB Monaco.
Aujourd’hui, en plus de mon rôle de gérant de fonds, je suis le représentant ESG de la banque. Mon travail consiste à intégrer les enjeux ESG dans l’ensemble des activités de CMB Monaco dont, par exemple, la gestion de portefeuille, le contrôle des risques notamment sur les crédits octroyés, le suivi des réglementations mais aussi au travers d’un bilan carbone des opérations au quotidien. Je travaille avec notre maison mère, le Groupe Mediobanca, afin d’implémenter à Monaco bon nombre des mesures ESG développées au niveau du groupe.

Vous participez à un projet de cartographie des pratiques ESG en Principauté. Pouvez-vous nous expliquer cette initiative ?

Le projet, mené par l’AMFID, se concentre prioritairement sur l’aspect environnemental de l’ESG. Nous n’oublions pas pour autant les autres dimensions même s’il est vrai que les aspects sociaux et de gouvernance ont déjà fait l’objet de nombreuses réglementations.
Un premier questionnaire sur ces pratiques avait été réalisé il y a quatre ans par l’AMAF. Aujourd’hui, nous renouvelons l’exercice en posant des questions plus spécifiques aux établissements bancaires et aux sociétés de gestion. L’objectif est notamment d’évaluer l’impact des réglementations ESG européennes sur les acteurs financiers monégasques et d’analyser comment ces établissements prennent en compte ces enjeux dans leurs activités.
Le questionnaire aborde plusieurs points clés :

  • La mise en place de politiques ESG au sein des établissements ;
  • L’intégration des risques ESG dans la gestion des risques globaux ;
  • La commercialisation de produits ESG ;
  • La formation et la sensibilisation des collaborateurs à ces enjeux.

Ce questionnaire est adressé à l’ensemble des établissements de crédit et des sociétés de gestion opérant en Principauté ?

Oui. L’objectif est de mesurer leur degré de prise en compte des enjeux ESG et de voir si un cadre commun de bonnes pratiques peut être défini.
Monaco ne dispose pas d’une réglementation ESG spécifique. C’est une opportunité, car cela permet d’éviter certains biais observés dans d’autres pays, mais cela implique aussi que chaque établissement adopte ses propres pratiques. L’idée est donc de dégager une approche pragmatique, efficace et adaptée au contexte monégasque, sans créer de nouvelles contraintes réglementaires.
Le questionnaire permettra d’identifier les initiatives existantes et de favoriser l’émergence d’un socle commun de pratiques responsables. L’idée est d’ajuster progressivement les pratiques locales sans coercition, mais en encourageant les acteurs financiers à adopter des approches vertueuses.

Quel est le taux de réponse au questionnaire ?

À date, environ 50 % des établissements ont répondu, ce qui est un bon début, et la réponse aux questionnaires a été étendue jusqu’à fin janvier. L’enjeu était aussi de rassurer les établissements sur la confidentialité des données. C’est pourquoi nous avons confié la gestion du questionnaire à un cabinet d’experts.

Quelles sont les principales différences entre les banques et les sociétés de gestion en matière d’ESG ?

Les banques ont souvent un soutien structurel plus important grâce à leurs maisons mères, qui sont généralement soumises aux réglementations européennes. Elles disposent de ressources financières et humaines pour développer des politiques ESG cohérentes avec celles appliquées au sein de l’Union européenne. À Monaco, bien que les établissements bancaires ne disposent pas nécessairement d’un département ESG à part entière, ils sont alignés avec les directives de leurs groupes.
En revanche, les sociétés de gestion monégasques, qui n’ont pas toujours d’ancrage dans un groupe international, sont moins soumises aux contraintes ESG. Cependant, nombre d’entre elles proposent et gèrent des fonds luxembourgeois ou irlandais, et à ce titre, elles sont indirectement soumises à la réglementation européenne via ces structures.

Quels sont les principaux risques ESG identifiés pour les banques et sociétés de gestion à Monaco ?

On distingue plusieurs types de risques ESG :

  • Le risque de réputation : Les banques et sociétés de gestion doivent veiller à ne pas exagérer leurs engagements ESG dans leur communication. En Europe, les régulateurs luttent activement contre le greenwashing. Un établissement qui met trop en avant son engagement ESG sans justification solide s’expose à des sanctions et à une perte de confiance de la clientèle.
  • Le risque physique : Les établissements financiers commencent à intégrer dans leurs analyses le risque physique lié au climat, notamment en matière d’immobilier. À Monaco et dans les communes avoisinantes, les banques collectent désormais des données sur la performance énergétique des biens qu’elles financent et anticipent les risques climatiques pouvant impacter ces actifs.
  • Le risque de transition : Il s’agit du risque lié aux évolutions réglementaires et économiques imposées par la transition vers une économie plus durable. Certaines industries sont particulièrement exposées, et les banques doivent évaluer comment ces transformations peuvent impacter leurs financements et leurs clients.
  • Le risque de liquidité : Il peut survenir si des clients fortement exposés à des zones à risque climatique subissent des pertes importantes, ce qui pourrait les amener à retirer massivement des fonds pour refinancer leurs activités ailleurs.

Monaco peut-elle s’inspirer d’autres places financières pour améliorer la gestion des risques ESG ?

Absolument. Nous avons déjà échangé avec des acteurs du Luxembourg et nous souhaitons approfondir nos discussions avec la Suisse. Cette dernière présente des caractéristiques qui pourraient être une source d’inspiration pour la Place. En particulier, nous nous devons de trouver un bon équilibre entre les exigences de la finance durable et la réalité des établissements en Principauté en adoptant une approche pragmatique.
Par exemple, plutôt que d’imposer des questionnaires ESG complexes aux clients, une approche simplifiée pourrait être envisagée : poser deux questions clés – souhaitez-vous une allocation ESG ? Si oui, à quel niveau (20 %, 50 %, etc.) – et définir une méthode claire de sélection des actifs. Cela permettrait de concilier transparence, efficacité et simplicité.

Un dernier mot ?

Nous avons encore du travail pour finaliser cette étude, mais nous espérons que cette initiative aidera à structurer la finance durable en Principauté. Il ne s’agit pas d’imposer des contraintes inutiles, mais d’accompagner les établissements dans une évolution pragmatique et adaptée au contexte monégasque.