La CERC : « This is the end… »

2024 02 19 MARQUET BENAMARA

La loi n°1.549, promulguée le 6 juillet 2023, vient modifier la loi n°1.362 du 3 août 2009, clé de voute législative de la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive à Monaco (« LCB/FT »).

Cette loi est la première partie d’un quadriptyque destiné à ajuster le paysage législatif monégasque en matière de LCB/ FT, et par la même de le conformer aux recommandations du Comité MONEYVAL. L’une des mesures phares de ce nouveau texte est le remplacement du Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (SICCFIN) par une nouvelle Autorité.

1/ Jusqu’à cette réforme, cette cellule de renseignements financiers, dépendante du Département des Finances et de l’Economie, avait pour mission de recevoir, d’analyser et de traiter les déclarations transmises par les organismes et les personnes visés à l’article premier de la loi n°1.362. Le SICCFIN disposait également de pouvoirs de contrôle des entités assujetties.

Sous le régime ancien, une Commission d’Examen des Rapports de Contrôles (la « CERC ») était en charge de (i) l’étude des rapports rédigés consécutivement aux contrôles réalisés par le SICCFIN et (ii) de l’émission d’un avis, non contraignant, à destination du Ministre d’État qui disposait, quant à lui, d’un pouvoir de sanction des entités contrôlées. Cette configuration inédite était sujette à de nombreuses interrogations de la part des assujettis et professionnels de la place, mais également de la Commission de Législation, notamment en ce qui concerne le statut et les pouvoirs réels de la CERC.
Cette Commission, qui examinait et se prononçait, au regard de la réglementation, quant à l’existence de manquement pouvant donner lieu à des sanctions pécuniaires, revêtait selon nous les caractéristiques d’un
« tribunal » au sens de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« CEDH »).
Or, sa situation de dépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif contrevenait à l’acception, tant internationale, que nationale, du respect des droits de la défense et plus particulièrement du droit à un tribunal indépendant et impartial.
Les évaluateurs MONEYVAL, dans leur recommandation 28.4 du mois de décembre 2022, considéraient également que l’absence de contrainte des avis de la CERC au profit du choix laissé au Ministre d’État n’étaient pas conforme aux normes internationales.
Cette configuration était d’autant plus source de doute pour le justiciable qui pouvait y voir une concentration/confusion des missions de poursuite, d'instruction et de sanction au sein des mêmes entités, et à avoir « l'impression que ce sont les mêmes personnes qui l'ont poursuivie et jugée » comme l’avait déjà retenu la CEDH pour des organes similaires. En effet, si le mis en cause pouvait être entendu par la CERC, il ne l’était pas devant le Ministre d’État, véritable autorité de sanction au sens des textes, destinataire du rapport d’étude et de la proposition de sanction soumise par la CERC.

2/ En réponse à ces questionnements, la loi n°1.549 opère une refonte de la structure et de l’organisation de la procédure de sanction.

Le législateur monégasque a décidé de mettre un terme à l’activité du SICCFIN et de la CERC afin de laisser place à une Autorité Monégasque de Sécurité Financière (AMSF), « autorité administrative indépendante » aux termes de l’article 50 du texte de loi et de l’article 46 de la loi n°1.362 modifiée.
Cette Autorité sera composée de trois services exerçants chacun des fonctions distinctes tel que le renseignement financier, la supervision et les sanctions.
Si les deux premières fonctions reprennent les prérogatives générales auparavant octroyées au SICCFIN, la dernière, opère une modification majeure du système connu jusque-là.
Le nouveau service des sanctions de l’Autorité, succédant à la CERC, procédera maintenant à l'examen du rapport de contrôle, ou du relevé du ou des manquements, et des pièces jointes en vertu de l’article 99 de la loi, modifiant l’article 65-1 de la loi n°1.362.
Par les dispositions nouvelles, le pouvoir de sanction administrative appartient désormais à une « formation de sanction ».
Cette formation initialement souhaitée spécifique et « ad hoc », sera finalement rattachée à l’Autorité indépendante. Elle sera constituée de trois personnes : un magistrat (en activité ou non, ayant exercé au moins cinq années dans l’ordre judiciaire monégasque), ainsi que deux agents ou fonctionnaires du service des sanctions de l’Autorité.
Sa composition avait soulevé des inquiétudes lors des débats devant le Conseil National, notamment l’intégration de membres du personnel du service des sanctions comme nouvelle transgression des garanties d’indépendance et d’impartialité de l’instance.
Afin de mettre un terme aux controverses, un alinéa 4 a été ajouté au nouvel article 65-5 de la loi n°1.362, obligeant alors tout membre de la formation de sanction à informer le chef de service de toute situation de conflit d’intérêts mais également en imposant aux agents siégeant au sein de la formation de sanction de n’« exercer aucune attribution en matière de supervision, ou en avoir exercé dans le cadre de la procédure pour laquelle ils seraient amenés à statuer ».
Cette évolution marque une modernisation attendue du cadre législatif local et la montée en puissance des autorités administratives dans le rôle d’autorité de contrôle et de sanction.