Et si Monaco était sur liste grise ? La réaction de l’AMAF

2024 07 03 Monaco liste grise

Après vingt-cinq années de présidence d’Étienne Franzi, Robert Laure a été élu à la tête de l’AMAF, l’Association monégasque des activités financières. Une transition qui s’est opérée en plein contexte « Moneyval ». Alors que le potentiel placement de la Principauté sur la liste grise du GAFI inquiète le tout-Monaco, ce professionnel rappelle dans cette interview les efforts accomplis par la Principauté ces 18 derniers mois pour se mettre en conformité. Il estime également que développer une activité financière dans un pays potentiellement « stigmatisé » n’est pas « une chose facile » mais n’est pas non plus synonyme « d’apocalypse ».

Depuis la publication du rapport Moneyval en janvier 2023 plaçant la Principauté sous suivi renforcé, les autorités monégasques ont multiplié les actions pour renforcer l’arsenal préventif et répressif en matière de lutte anti-blanchiment. Quel regard portez-vous sur ce qui a été engagé ces 18 derniers mois ? La Principauté s’est-elle mise en « mode commando » comme l’a souhaité le prince Albert II ?

Je le crois oui. En l’espace d’un an et demi, des changements remarquables ont été opérés en Principauté. Tant d’un point de vue législatif, que réglementaire. D’importants moyens humains et techniques ont également été mobilisés. L’effort a donc été collectif. L’Exécutif avec le Gouvernement, le législatif avec le Conseil national, la Direction des Services Judiciaires, ou encore les Directions de la Sûreté Publique, du Développement Économique, des Services Fiscaux, entre autres ; sans oublier également l’ensemble des acteurs économiques. Le secteur financier était bien sûr également impliqué mais dans un degré un peu différent.

Que voulez-vous dire ?

Les conclusions du rapport Moneyval sur le secteur bancaire étaient globalement positives. Le rapport n’a pas relevé de lacunes particulières, ce qui est plutôt logique car en matière de lutte anti-blanchiment, le secteur bancaire et financier a toujours été en avance par rapport aux autres activités économiques. D’abord, pour des raisons historiques, car ce secteur est le premier à avoir été ciblé. Ensuite, les établissements bancaires à Monaco, dans leur grande majorité, appartiennent à des grands groupes internationaux qui appliquent rigoureusement ces dispositifs de longue date. Il existe donc une connaissance historique naturelle. Un autre facteur important est l’adhésion obligatoire des banques et des sociétés de gestion au syndicat d’employeurs qu’est l’AMAF. Cela garantit une communication des évolutions et pratiques règlementaires à tous ses membres, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans d’autres secteurs économiques qui ont pu d’ailleurs connaître plus de difficultés à appréhender cette matière complexe.

Quand sera-t-on fixé sur le sort de la Principauté ? Avez-vous un calendrier un peu plus précis à nous indiquer ?

Depuis le rapport publié par Moneyval en janvier 2023, plusieurs étapes ont été franchies. Les autorités monégasques ont d’abord rédigé à leur tour un rapport pour le GAFI. Ce document, le POPR (Post Observation Period Report), était destiné à détailler l’ensemble des mesures mises en place par la Principauté. Il a été remis en mars 2024. Par la suite, plusieurs échanges complémentaires ont eu lieu. Le 7 mai dernier, une réunion s’est tenue à Istanbul avec le groupe international de coopération et d’examen (The International Cooperative Research Group – ICGR). À la suite de cette réunion, d’autres échanges ont encore eu lieu. Ce groupe international transmettra ensuite ses recommandations à l’assemblée plénière du GAFI, qui se tiendra à Singapour fin juin, (entre le 24 et le 28). Une décision sera donc prise à l’issue de cette assemblée plénière.

Fin juin 2024, nous devrions donc savoir si la Principauté sera ou non placée sur la liste grise du GAFI. Êtes-vous confiant ? Pensez-vous que l’issue sera positive ?

Ce n’est pas à nous de le dire. Je ne peux pas vous donner d’avis tranché là-dessus. Ce que je constate en revanche, encore une fois, c’est que toute la Principauté a effectué un travail remarquable durant 18 mois. Rappelons également que Monaco ne part pas d’une page blanche. L’effectivité des textes en matière de lutte anti-blanchiment existe déjà. Du travail a été fait, des résultats sont déjà présents, et ont été présentés aux différentes instances de contrôle. Un autre point important à souligner c’est celui de la volonté politique au plus haut niveau. La nécessité de répondre aux critères exigés par Moneyval pour la Principauté, a été affirmée par le Prince souverain lui-même.

Un éventuel placement de la Principauté sur liste grise aurait des conséquences non négligeables pour les banques et la clientèle monégasque : délais allongés dans le traitement des flux financiers, correspondants bancaires plus intrusifs, lourdeurs administratives, ralentissement de l’activité… Cela vous inquiète pour la compétitivité de la place bancaire ?

Dans l’hypothèse où la Principauté est placée sur liste grise, y aura-t-il plus de contrôles ? A priori oui. Les délais de traitement seront-ils plus longs ? A priori oui. Les démarches administratives seront-elles plus lourdes ? A priori oui également. Mais de quels délais parlons-nous ? De quels contrôles parlons-nous ? Nous ne sommes pas dans une situation où Monaco serait mis au ban des Nations. Certaines opérations de gestion des flux financiers, mécaniquement, seront sans doute moins fluides. Toutefois, ce n’est pas encore une certitude car cela dépendra en réalité de nos interlocuteurs et des pays avec lesquels nous allons discuter. Certains pays vont être plus questionnant, d’autres beaucoup moins. Maintenir et développer une activité financière dans un pays “stigmatisé” par un placement sous surveillance renforcée n’est, certes, pas chose facile, mais ce n’est pas non plus synonyme d’apocalypse. A cet effet, l’AMAF prendrait toute sa part pour accompagner ses membres.

Un syndicat de banque en Principauté interrogé sur les conséquences d’un passage sur liste grise nous a indiqué pour sa part ceci : « Il est difficile de ne pas imaginer des réductions d’effectifs ou des fermetures d’établissements (sociétés de gestion ou banques) liées à une clientèle fortunée qui sera moins enclin à faire transiter leurs avoirs en Principauté si chaque opération effectuée pose une difficulté d’exécution. » Que pensez-vous de cette déclaration ?

Il s’agit d’une hypothèse parmi d’autres… Je comprends et je partage les inquiétudes, mais avoir cette forme de raisonnement est selon moi excessif. D’abord car un établissement bancaire est une activité extrêmement régulée et réglementée. Les délais d’ouverture et/ou de cessation d’activité d’un établissement de crédit s’inscrivent dans des temps longs, souvent de plusieurs années. Ensuite, la notion d’attractivité d’un pays ne peut être réduite à cette seule situation conjoncturelle. Il existe une différence entre le principe de réalité d’une « classification » et sa perception. A l’issue de la réunion plénière du GAFI du mois de mars 2024, des juridictions sorties de la « liste grise » restent, pour certaines, encore perçus comme « à risque » par une partie de la clientèle fortunée.

Lors d’une interview sur Monaco info, Pierre-André Chiappori, le Conseiller de Gouvernement – Ministre des Finances et de l’Économie a indiqué que si la Principauté était placée sur liste grise, cela ne durerait qu’un temps limité, entre 1 an et 1 an et demi. Pourquoi cette durée selon vous ?

Dans l’hypothèse où le GAFI placerait la Principauté sur liste grise et qu’un complément de conformité, notamment, soit encore demandé à Monaco, étant donné tout le travail qui a déjà été effectué en amont, cela ne prendrait pas des années pour y répondre. Cela peut être très rapide : 6 mois, un an, ou un an demi me semble un délai cohérent.

Dans cette même interview, Pierre-André Chiappori a indiqué qu’un placement de Monaco sur liste grise n’est « techniquement » pas « une sanction » mais « une surveillance renforcée ». Voir les choses ainsi, n’est-ce pas minimiser la réalité ? Est-ce une posture ? Des éléments de langage ?

Non, je ne le crois pas. Je partage l’avis de Pierre-André Chiappori. Une « surveillance renforcée » n’est pas accompagnée de sanctions ; elle vise à conduire une juridiction vers l’adoption opérationnelle d’un dispositif efficace de LCB/FT. La « sanction », comme je l’ai souligné avant résiderait dans la difficulté de travailler facilement avec nos contreparties et notre clientèle.

 

credit photo : © Photo Iulian Giurca / L’Observateur de Monaco