Défis économiques en 2025 : les États-Unis en leader, l’Europe face à ses choix

2025 02 03 Mathilde Lemoine

Le 29 janvier dernier, Monaco a accueilli une conférence exceptionnelle organisée par Edmond de Rothschild Monaco, accueillant Mathilde Lemoine, Chef économiste du groupe Edmond de Rothschild, et Sébastien Cavernes, Responsable de l’investissement de Edmond de Rothschild Monaco. Lors de cet événement, Mathilde Lemoine a mis en lumière les perspectives et les défis propres à l’Europe et aux États-Unis.

Vous avez souligné une performance économique exceptionnelle des États-Unis en 2024. Quels éléments expliquent ce dynamisme ?

Depuis le premier mandat de Donald Trump, les États-Unis ont adopté une politique économique fondée sur la croissance et la souveraineté. Cela inclut des mesures ambitieuses comme l’Inflation Reduction Act (IRA), le CHIPS Act, et des baisses massives d’impôts, qui ont toutes soutenu massivement l’investissement des entreprises.
Résultat ? Une hausse de la productivité, avec un taux annuel de 1,7 % contre 1,3 % avant la pandémie. Ce choix de politique économique, partagé par les Républicains et les Démocrates, a permis une augmentation du potentiel de croissance des États-Unis. En 2024, ils ont atteint une croissance impressionnante de 2,8 %, alors que la zone euro peine à 0,6 %.

Quelles leçons l’Europe pourrait-elle tirer de cette stratégie américaine ?

L’Europe souffre d’un manque de pragmatisme dans ses choix économiques. Alors que les États-Unis investissent massivement, la zone euro reste enfermée dans des politiques budgétaires restrictives visant à réduire les déficits, tout en privilégiant les dépenses de retraite. Depuis 2017 , l’investissement privé soutenu par des crédits d’impôt a cru de 19% aux Etats-Unis alors qu’il a baissé de 14% en zone Euro !
De plus, l’Europe manque d’une politique unifiée pour réduire le coût de l’énergie pour ses entreprises, ce qui affecte leur compétitivité. Par exemple, les prix du gaz restent cinq fois plus élevés en Europe qu’aux États-Unis, poussant des secteurs comme la chimie ou l’agroalimentaire à délocaliser leurs activités outre-Atlantique.

Les tensions commerciales entre les États-Unis et l’Europe semblent s’intensifier. Quelles en sont les implications ?

Donald Trump a déjà qualifié l’Europe de "mini-Chine" en raison de son déficit commercial croissant avec les États-Unis, qui atteint désormais 235 milliards de dollars (selon les chiffres du Bureau of Economic Analysis). Les secteurs les plus exposés sont l’automobile, les médicaments, les bateaux, le luxe et l’agriculture, en particulier en France, en Allemagne et en Italie.
Cette guerre commerciale crée une incertitude profonde, car les entreprises hésitent à investir face à des menaces constantes de droits de douane. Cela freine la croissance européenne et amplifie son décrochage par rapport aux États-Unis.

Quels risques identifiez-vous pour l’Europe à court terme ?

L’Europe est prise en étau entre deux puissances :

  • Les États-Unis, avec un coût de l’énergie et des infrastructures en innovation attractifs.
  • La Chine, qui domine les technologies nécessaires à la transition énergétique, comme les batteries électriques et les panneaux solaires.

Sans une stratégie cohérente, l’Europe risque de devenir dépendante pour ses importations, ce qui affaiblirait sa souveraineté économique et nationale. De plus, les restrictions budgétaires limitent sa capacité à soutenir l’investissement des entreprises dans des secteurs clés, augmentant son retard face aux grandes puissances. Enfin elle délaisse le capital humain.

La Chine reste néanmoins confrontée à des défis...

La Chine reste un acteur clé de l'économie mondiale cependant, son modèle est sous pression. Elle doit composer avec des problèmes structurels, comme le vieillissement de sa population et des tensions géopolitiques croissantes, notamment avec les États-Unis.
Malgré tout, la Chine compense en se concentrant sur ses exportations, particulièrement en Europe, dans des secteurs liés à la transition énergétique (véhicules électriques, batteries, panneaux solaires). Alors que les États-Unis essaient de réduire leurs importations chinoises, la Chine se tourne vers les marchés européens pour maintenir son rythme.
En parallèle, Pékin continue d'investir massivement dans des infrastructures nationales et dans la technologie, deux piliers essentiels pour sa souveraineté. Enfin, l’État chinois développe une stratégie de contournement des barrières douanières européennes, notamment via des investissements directs dans des usines locales en Europe de l’Est, comme en Hongrie.

L’Europe a donc renforcé sa dépendance à la Chine ?

Particulièrement pour les technologies nécessaires à la transition énergétique. Par exemple, la part des importations européennes en provenance de Chine a augmenté de trois points depuis 2017, avec des produits comme les batteries et les composants pour les panneaux solaires en tête.
Cette dépendance est doublement problématique :

  1. Elle affaiblit la souveraineté technologique européenne.
  2. Elle crée une vulnérabilité face à de potentielles perturbations commerciales, comme des restrictions chinoises ou des droits de douane européens.

L’Europe doit donc rapidement investir dans ses propres infrastructures industrielles pour réduire cette dépendance, mais cela nécessite des choix stratégiques clairs et des politiques budgétaires plus ambitieuses.

L’intelligence artificielle est au cœur des évolutions économiques mondiales. Quel rôle joue-t-elle dans cette compétition entre les grandes puissances ?

L’intelligence artificielle (IA) est l’un des leviers clés de compétitivité mondiale. Les États-Unis, avec leurs géants technologiques, et la Chine, grâce à des investissements publics colossaux, dominent largement ce secteur.
Pour l’Europe, le retard est criant. Si certaines initiatives émergent, comme des hubs technologiques en France ou en Allemagne, elles restent insuffisantes face aux avancées américaines et chinoises. Par exemple, l’Europe ne maîtrise pas encore les infrastructures critiques, comme les semi-conducteurs ou les centres de données, qui sont essentiels pour développer l’IA.
En outre, l’IA est très consommatrice d’énergie. Les coûts énergétiques élevés en Europe freinent les entreprises dans ce domaine, les rendant moins compétitives face à leurs homologues américains ou asiatiques. Si l’Europe veut rester dans la course, elle devra non seulement investir dans les technologies de l’IA, mais aussi réduire le coût de l’énergie et soutenir davantage la recherche.

Quelles priorités pour l’Europe face à ces défis ?

L’Europe doit impérativement établir des priorités claires pour rester compétitive dans ce nouveau monde bipolaire dominé par les États-Unis et la Chine. Je vois trois axes essentiels :

  1. Réduire le coût de l’énergie pour les entreprises, afin d’améliorer leur compétitivité et leur capacité à innover.
  2. Investir massivement dans la recherche et l’industrie technologique, en soutenant des projets européens stratégiques sur l’IA et la transition énergétique.
  3. Renforcer la cohésion sociale, notamment par des programmes de formation pour mieux intégrer les salariés dans un monde technologique en rapide évolution.

Sans ces actions, l’Europe risque de rester spectatrice de la compétition mondiale, au détriment de sa souveraineté économique et de ses valeurs.

Comment voyez-vous évoluer les dynamiques de croissance mondiale en 2025 ?

Je prévois une croissance mondiale de 2,5 % en 2025, légèrement inférieure à celle de 2024. Les États-Unis continueront de mener la danse avec une prévision de 2,1 %, soutenus par un déficit budgétaire élevé et des taux d’intérêt à court terme en recul.
En revanche, la zone euro devrait rester à la traîne, avec une croissance attendue de seulement 0,6 %. Ce décalage est amplifié par des choix budgétaires inadaptés et une compétitivité énergétique insuffisante. La Chine, de son côté, devrait enregistrer une croissance de 4,7 %, encore portée par ses exportations, notamment vers l’Europe dans les secteurs liés à la transition énergétique.