Fondateur de Be Exclusive, cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie des marques de luxe, Bruno LAVAGNA incarne depuis plus de 35 ans l'élégance entrepreneuriale à la française. Fort d'une carrière dans des maisons prestigieuses comme Lancôme, Ralph Lauren, Armani, cet expert quadrilingue explore aujourd’hui les enjeux de la géopolitique du luxe, un concept qu’il a contribué à faire émerger. Lors de la journée « Le Luxe à la française » organisée par les Conseillers du Commerce Extérieur de Monaco en présence du Comité Colbert, il nous a éclairés sur les ponts inattendus entre luxe, expérience client, diplomatie et banque privée.
Luxe, culture et influence : une géopolitique des sens
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le luxe à l’échelle mondiale ?
Le luxe est devenu bien plus qu’un secteur économique. C’est un soft power, un outil d’influence et de rayonnement. Que ce soit par l’architecture, la gastronomie, l’élégance ou le savoir-faire, chaque nation exprime son identité à travers ses marques de luxe. On parle souvent d’économie, mais il faut aussi parler de diplomatie. Les maisons de luxe sont des ambassades culturelles. Quand on lance un parfum Ralph Lauren à Tel-Aviv, c’est à l’ambassade américaine ; un espace Armani à New York, c’est dans les salons de l’ambassade d’Italie. C’est une géopolitique subtile, basée sur le raffinement et la différenciation.
Votre définition personnelle du luxe ?
Le luxe, pour moi, c’est le temps et l’espace. Savoir prendre le temps, créer un lieu de respiration, sublimer l’essentiel. À Monaco, par exemple, on ne mise pas sur la démesure, mais sur la précision, la densité de l’expérience. Le luxe, c’est aussi une capacité d’écoute et d’adaptation culturelle. Ce n’est pas un produit universel mais un langage émotionnel, qui doit dialoguer avec chaque culture, chaque génération.
Vous évoquez souvent le rôle du luxe dans les transitions sociétales ?
Absolument. Le luxe doit assumer sa responsabilité. Il est pionnier en matière de développement durable, de préservation des savoir-faire, et même de logistique humanitaire — souvenons-nous de son rôle durant la crise sanitaire. Il investit dans la transition climatique, soutient la restauration du patrimoine, finance la recherche. Quand LVMH ou Chanel s'engagent pour Notre-Dame ou les récifs coralliens, c’est une géopolitique du bien commun.
Luxe et banque privée : une alliance naturelle ?
Les banques privées relèvent-elles du secteur du luxe ?
Incontestablement. Le luxe est un art de vivre, une quête d’exception et de confiance. La banque privée partage cela. C’est un service sur mesure, fondé sur l’écoute, la discrétion, la fidélité. Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus digitalisé et standardisé, avoir un conseiller dédié, humain, présent, c’est déjà un luxe. Et les clients le savent. Le banquier privé est un homme - ou une femme - de confiance, il touche à l’intime : le patrimoine, les projets de vie, les transmissions familiales.
Peut-on parler de marketing du luxe appliqué à la banque privée ?
Le marketing est partout, mais dans le luxe, il doit rester subtil. On ne parle pas de ciblage froid ou de segmentation algorithmique, mais d’expérience client personnalisée. Les grandes maisons de luxe l’ont compris : il faut laisser une part d’imprévu, de respiration, d’humanité. C’est ce que j’appelle l’intelligence émotionnelle du service. La banque privée gagnerait à s’inspirer davantage de ce modèle agile, fondé sur la relation et non sur la procédure.
L’image d’une banque privée est-elle déterminante ?
Elle est essentielle. Comme dans le luxe, on choisit une banque pour ce qu’elle incarne. Une maison bancaire qui a traversé les crises, les guerres, les siècles inspire confiance. La légitimité patrimoniale est fondamentale. Et j’utilise volontairement le mot "maison", car c’est ainsi qu’on parle des maisons de luxe. Une banque familiale, stable, enracinée, peut rassurer autant qu’une signature prestigieuse.
Comment voyez-vous l’évolution de l’expérience client dans la banque privée ?
Les banques privées ont commencé à emprunter les codes de l’hôtellerie de luxe : espace, calme, confort, accueil personnalisé. C’est très positif. Mais il faut aller plus loin : intégrer des expériences culturelles, des événements exclusifs, de la valeur ajoutée relationnelle. C’est la qualité, pas la quantité, qui fera la différence. Et cela passe par de la formation, une écoute vraie, une capacité à comprendre les attentes sans être intrusif. C’est tout l’enjeu de la fidélisation à l’ère de l’hyperpersonnalisation.
En conclusion ?
La banque privée, si elle veut rester pertinente, ne doit pas seulement gérer des actifs. Elle doit gérer des relations, des émotions, des héritages, des projets de vie. Elle doit se penser comme une maison de confiance, une maison d’élégance, une maison de culture — à l’image des grandes maisons de luxe.
Crédit photo : Nathalie Courau