À Monaco, le monde de la finance compte de plus en plus de talents féminins, et les dirigeantes ouvrent le chemin vers l’égalité. Serene El Masri, CEO d’UBP Monaco, Delphine Asso, Directrice du Crédit Agricole Monaco, et Murielle Acouri, Administratrice Déléguée de Pasha Investments partagent leurs expériences. Entre obstacles, opportunités et aspirations, elles expliquent ce que signifie être une femme leader dans un univers historiquement masculin, à Monaco comme dans les autres places financières.
Un parcours audacieux et persévérant
Les trajectoires de ces trois femmes leaders sont aussi diverses qu’inspirantes, et elles ont en commun une détermination sans faille et une capacité à s’adapter aux défis quotidiens.
Delphine Asso, diplômée d’une école supérieure de commerce, avait d’abord exclu la finance de ses ambitions. C’est au fil des rencontres et en découvrant la diversité des métiers proposés par la banque qu’elle a décidé de s’y investir pleinement. « Ce qui m’a attirée, c’est la possibilité de me réinventer en permanence », confie-t-elle. Grâce à une évolution progressive, passant par des postes en immobilier, en ressources humaines et en corporate banking, elle a su tirer parti des nombreuses formations offertes par le secteur bancaire. Cette quête d’apprentissage lui a permis d’accéder, il y a deux ans, à un poste de direction.
Murielle Acouri raconte un parcours atypique, loin des schémas classiques. « À la base, je n’avais absolument pas prévu de travailler », dit-elle. Elle avait envisagé une vie de mère au foyer, mais les circonstances l’ont poussée à intégrer le monde du travail, sans aucun diplôme. Son ascension commence lorsqu’elle rejoint une grande banque américaine, où elle est formée sur le terrain. De Paribas à UBS, en passant par Goldman Sachs, elle gravit les échelons, acquérant des compétences stratégiques qui lui permettront, en 2017, de co-fonder son propre Family Office à Monaco. « J’ai travaillé dur, pris de bonnes décisions stratégiques et saisi chaque opportunité. Dans ce domaine dominé par les hommes, il faut toujours prouver sa légitimité et faire valoir ses compétences, très complémentaires », souligne-t-elle.
Enfin, Serene El Masri explique que le management et le leadership sont une vocation évidente pour elle. Passionnée par la gestion d’équipe et la stratégie, elle a bâti sa carrière en prenant en main des responsabilités croissantes. « Prendre des décisions, façonner l’avenir d’une entité bancaire et obtenir des résultats concrets, c’est ce qui m’a toujours motivée », affirme-t-elle. Son parcours illustre l’importance d’oser, de gérer les risques et de cultiver un leadership affirmé.
Une évolution visible mais encore incomplète
Si la place des femmes dans la finance a évolué, l’accès aux postes à haute responsabilité reste un défi, à Monaco comme ailleurs.
Dans certains grands groupes bancaires, des progrès sont notables. « Aujourd’hui, nous avons trois femmes dans le comité de direction, contre dix hommes il y a quelques années. C’est un signal fort », témoigne Delphine Asso. Cette avancée ne s’est toutefois pas faite naturellement : des quotas ont été nécessaires pour accélérer la mixité à différents niveaux hiérarchiques.
Le sentiment d’isolement persiste pour les femmes qui atteignent des postes clés.
« Quand on est la seule femme dans une réunion de dix hommes, on ressent parfois un malaise, non pas à cause d’un manque de compétence, mais simplement parce que nous n’avons pas le même mode de fonctionnement », expliquent-elles.
L’instauration de quotas fait débat. « Je ne suis pas favorable aux quotas » déclare Serene El Masri. Cela crée un déséquilibre et peut être contre-productif. Ce qu’il faut, c’est une véritable évolution des mentalités ».
Le chemin vers la parité réelle passe donc par un changement des pratiques de recrutement, et aussi par un travail des femmes sur la confiance en soi. « Trop souvent, une femme attend de cocher toutes les cases avant de candidater à un poste à responsabilité, alors qu’un homme n’hésitera pas. Il faut encourager les femmes à oser davantage », insistent-elles.
Inspirations et leadership au féminin
Si ces femmes sont aujourd’hui des modèles de réussite, elles ont elles-mêmes trouvé leur inspiration auprès d’autres figures féminines.
Christine Lagarde revient régulièrement dans les discussions. « Elle a su naviguer dans un univers masculin, diriger des institutions majeures tout en étant mère de famille. C’est une figure qui prouve qu’il est possible d’allier carrière et vie personnelle », explique Murielle Acouri.
Mais au-delà des figures médiatiques, ce sont souvent des mentors rencontrés tout au long de leur carrière qui ont eu le plus d’impact. « J’ai eu la chance de croiser des femmes dirigeantes qui m’ont montré qu’il était possible d’y arriver. Ces modèles concrets nous donnent la force de persévérer », raconte Delphine Asso.
Le leadership féminin, quant à lui, apporte une approche singulière à la gestion bancaire. « Une femme, notamment si elle est mère, sait jongler avec plusieurs responsabilités. Elle développe une vision globale, intégrant les dimensions financières, juridiques et humaines d’un dossier », soulignent-elles.
De plus, les femmes ont souvent une tolérance au risque plus mesurée. « Nous sommes de meilleures gestionnaires de risques. Dans un secteur où la prudence est essentielle, notre approche apporte une réelle valeur ajoutée », affirme Serene El Masri. Elle ajoute que les qualités féminines lui paraissent déterminantes dans les relations clientèle parfois complexes dans le secteur de la Banque Privée.
La mixité est donc un enjeu stratégique. « Une meilleure répartition hommes-femmes dans les comités de direction conduit à une prise de décision plus réfléchie », concluent-elles.
Quels leviers pour une égalité plus effective ?
Si des progrès ont été réalisés, des freins structurels sont encore à surmonter. L’un des principaux défis concerne la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. « Les femmes portent encore la majorité de la charge mentale liée au foyer et aux enfants. Ce poids invisible impacte leur progression », constate Delphine Asso.
L’une des solutions avancées est une plus grande flexibilité du travail, avec davantage de télétravail et des aménagements adaptés aux contraintes des femmes. « Nous devons reconnaître que les carrières féminines suivent souvent un rythme différent. Il faut éviter que les congés maternité ou les pauses dans la carrière deviennent des freins à l’évolution » déclare Murielle Acouri.
Un autre enjeu majeur est celui du mentorat et de l’accompagnement. « Il faut encourager les jeunes femmes à se projeter dans des rôles de direction. La confiance en soi est un élément clé, et cela passe aussi par des modèles inspirants et un soutien actif des entreprises », explique Serene El Masri.
Enfin, les femmes dirigeantes ont un rôle crucial à jouer. « Nous avons la responsabilité d’ouvrir la voie, de montrer que c’est possible. Ce n’est pas une question de quotas, mais de légitimité et de performance », affirment-elles.
Un avenir à construire ensemble
Si le monde de la finance reste encore pour grande partie masculin, la montée en puissance des femmes dirigeantes prouve qu’un changement est en cours. Plus qu’une question de parité, il s’agit, pour elles, « d’un véritable levier de performance et d’innovation ».
Ces trois dirigeantes en sont convaincues : l’avenir de la banque passera par une mixité accrue et une meilleure reconnaissance des atouts du leadership féminin. À Monaco, comme ailleurs, il est temps de voir comme des actrices incontournables du secteur financier.