La confiance est un élément essentiel de l’économie[1]. Elle se fonde traditionnellement sur des acteurs centralisés (Entreprises, Institutions, Etats, Monnaies) de référence. Or, les dernières crises (subprimes, dette publique grecques, …) ont fragilisées ces « tiers de confiance » et donc la totalité de ce modèle. Au même moment s’est développée la « Distributed Ledger Technologie » (blockchain) qui « permet de se passer de tiers de confiance, grâce à un réseau de « nœuds » (des serveurs) validant de manière sécurisée et en temps réel (ou presque) toutes sortes de transactions ou d’information, à valeur juridique ou non[2] ». La confiance peut alors, ne plus être placée dans une entité unique faillible, mais dans une multiplication d’acteurs indépendants se contrôlant les uns les autre.
Cette nouvelle proposition de « confiance » que d’aucun jugent disruptive, à permis d’uberiser les levées de fonds et de financer tout types d’activités grâce aux Initial Coin Offering (ICOs). Ceux-ci offrent une « compliance » inhérente à la technologie DLT, permettant de financer le développement d’une activité non par augmentation de capital mais par prévente de biens, de droits ou de service. Les ICOs constituent aussi un moyen de « désintermédiarisation » (partielle) des levées de fonds et la réduction concomitante de leur coût. Et enfin l’ICO permet de liquéfier le financement en organisant un marché secondaire pour la vente des « token » qui deviennent alors des supports potentiels de spéculation par un phénomène analogue à celui de la titrisation de créance.
Ainsi, depuis le début de l’année[3] il y a eu plus de 28[4] levées de fonds par ICO de plus de 10 millions d’USD[5]. Ce qui démontre la vigueur du mouvement. Et cela ne peut laisser les gouvernements indifférents. La protection des investisseurs est en jeu, la vigueur d’une économie locale trouvant des modalités de financement hors des réseaux financiers traditionnels jugés trop frileux vis-à-vis des nouvelles technologies, aussi. Et il y a cette manne taxable potentielle liée à l’assujettissement à la TVA des tokens, à l’IS les sociétés émettrices et à l’IR les plus values réalisée à l’occasion de la spéculation occasionnelle ou habituelle des individus.
L’ensemble de ces éléments conduisent les Etats à s’interroger sur une régulation adaptée à ce secteur. En ce sens il serait pertinent de distinguer les fonctions émettrices des ICO, de celles qui assurent la « promotion » des tokens sur un marché primaire (souscription initiale) puis secondaire (vente ultérieure), puis d’attacher un statut à chaque fonction. Ainsi le régime juridique de chaque entité dépendrait des fonctions qu’elle exerce.
Ainsi, à la fonction d’émission de l’ICO serait attachée la responsabilité de la rédaction du whitepaper. Et il appartiendrait aux fonctions de promotion d’exécuter les règles de lutte anti-blanchiment … des vérifications sur leur identité « non numérique », en leur nom propre et au nom et pour le compte des fonctions d’émission. Il leur appartiendrait aussi de constituer un registre de souscripteur de tokens et d’assumer la charge de l’information adéquate des clients…
En conclusion, il n’existe pas de vide juridique. Les ICO ne sont pas juridiquement en apesanteur. On peut toujours qualifier en droit une situation de fait mais cette analyse doctrinale n’apporte pas la sécurité qui seule permet un développement économique à long terme. Aussi convient-il de militer pour qu’une réglementation vienne trancher entre diverses opinions juridiques et favoriser un modèle économique qui soit économiquement avantageux pour les acteurs économiques, l’Etat et la population.
Dans ce cadre un statut juridique et fiscal devrait être donné aux Emetteurs et aux Promoteurs. En contrepartie d’obligation d’enregistrement auprès d’autorités « ad hoc », dans des délais compatibles avec les contraintes de cette nouvelle industrie, de soumissions à règles adaptées, les portes du marché bancaires devraient leur être ouvertes. Ainsi une politique de « place » consistant à ouvrir des comptes bancaires aux entités enregistrées et à accepter les virements issus de plateformes DLT labélisées devrait être encouragée.
Cette « officialisation » d’une activité existante permettrait de dégager pour l’Etat de la matière taxable (TVA ?) ainsi qu’une nouvelle activité économique créatrice d’emploi et de richesse.
Dans cette course au titre de meilleure place financière numérique, deux initiatives sont à souligner, l’une à Malte avec l’élaboration d’une législation dédiée à la DLT[6] l’autre en France avec la réflexion conduite par l’AMF[7]. Mais aucune des deux ne semble aujourd’hui complète. Et il reste une place à prendre pour l’Etat qui saura proposer dans les meilleurs délais une sécurité juridique et fiscale pour les investisseurs comme pour tous les autres acteurs (promoteurs, conseils, banques, Wealth manager) du capital risque digital et du wealth management numérique.
[1] Economie de la confiance, Eloi Laurent, La Découverte 2012
[2] https://www.lecho.be/opinions/analyse/blockchain-le-grand-ecart-entre-innovation-et-reglementation/9973051.html
[3] https://www.coinschedule.com/icos.html
[4] https://hackernoon.com/best-countries-for-ico-ef710ace2785
[5] https://www.forbes.fr/finance/blockchain-les-pays-qui-savent-tirer-leur-epingle-du-jeu/
[6] https://opm.gov.mt/en/Documents/FSDEI%20-%20DLT%20Regulation%20Document.pdf
[7] http://www.amf-france.org/Actualites/Communiques-de-presse/AMF/annee-2018?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F57711a6c-4494-4215-993b-716870ffb182